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entrainer l'auditoire naturellement peu _entrainable_ et beaucoup plus
sensible aux farces de cache-cache qu'aux choses bien dites et bien
senties. Vous etes tres drole en garcon et en vieille femme; mais vous
etes encore mieux dans vos habits, ce qui est, vous le savez sans
doute, le plus difficile en scene. Mais dites donc a Soumain de
changer de figure s'il veut ressembler a Odry. Il est beaucoup trop
gentil pour faire M. Cagnard, et ne fait pas rire parce qu'il ne peut
pas etre caricature. Quoiqu'il ait des gestes et des manieres de dire
tres conformes a son modele, personne a la Chatre ne sent le merite de
cette imitation, parce que personne n'a vu Odry. Le gros Chabenat est
excellent. Il a plus de naturel qu'aucun de vous, sauf _vous_.
Dites-leur d'apprendre leurs roles et de ne pas manquer leurs entrees.
Individuellement vous jouez bien; mais vous manquez d'ensemble.
J'ai regret d'avoir manque votre precedente representation, j'etais
trop malade. J'ai charge madame Decerf de me prendre vingt billets a
votre loterie. J'y aurais coopere par quelque ouvrage si j'avais eu
plus de temps et de sante.
Votre mere m'a dit que toutes ces comedies vous fatiguaient beaucoup.
Prenez garde, ne vous faites pas, comme moi, vieux avant le temps.
Bonsoir, mon camarade; je vous embrasse de tout mon coeur. Avez-vous
des nouvelles d'Alphonse? personne ne m'en donne, ni lui non plus.
LXVI
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS
Nohant, 31 mai 1831.
Ma chere maman,
Vous etes triste. Vous allez encore vous trouver seule. C'est une
chose difficile a arranger avec la liberte, que la societe d'autrui.
Vous aimez a etre entouree, vous detestez la contrainte; c'est tout
comme moi. Comment concilier les volontes des autres avec la sienne
propre? Je ne sais. Peut-etre faudrait-il fermer les yeux sur bien des
petites choses, tolerer beaucoup d'imperfections a la nature humaine
et se resigner a certaines contrarietes qui sont inevitables dans
toutes les positions. Ne jugez-vous pas un peu severement des torts
passagers? Il est vrai, vous pardonnez aisement et vous oubliez vite;
mais ne condamnez-vous pas quelquefois un peu a la hate?
Pour moi, ma chere maman, la liberte de penser et d'agir est le
premier des biens. Si l'on peut y joindre les petits soins d'une
famille, elle est infiniment plus douce; mais ou cela se
rencontre-t-il? Toujours l'un nuit a l'autre, l'independance a
l'entourage ou
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