ns, de travail, de fatigue meme, nous jette dans l'atonie, qui
est le plus grand ennemi de notre organisation.
On fait bien de nous retenir de temps en temps; mais les medecins et les
amis qui nous enchainent a la medication et au calme absolu nous tuent
tout aussi bien que les chevaux qui nous emportent.
Moi, j'ai le roi des medecins, un homme sans nom, mais qui sait ce que
c'est qu'une personne et une autre personne. Le lendemain du jour ou
j'etais au plus mal, il m'a fait manger, j'avais faim. Le surlendemain,
il m'a permis de prendre du cafe, j'en ai l'habitude, et a consenti a me
laisser sortir du lit, dont j'ai horreur. Il m'a laissee causer, rire
et m'efforcer de secouer le mal. Il savait, il sait, je sais et je sens
aussi, depuis que j'existe, que, quand je pense a la maladie, je suis
malade. J'ai eu autrefois de forts acces d'hypocondrie tout a fait
contraires a ma nature, et c'etait la faute des amis et des medecins,
qui m'ont gratifiee dix fois de maladies que je n'avais pas. Prenez
garde a cela. Vous me dites que vous etes decourage et atteint. Ne le
dites qu'a moi, tant d'autres se rejouiraient, et ne laissez pas dire
que vous etes malade serieusement. Songez a tous ces jaloux que se
frotteraient les mains; les jaloux, c'est tout le monde. Ce ne sont pas
seulement les rivaux de metier, ce sont tous les paresseux, tous
les incapables, qui souffrent de voir une existence brillante et
triomphante. C'est le public tout entier, qui est ingrat et qui aime a
voir hesiter et souffrir ceux qu'il encensait hier et qu'il encensera
demain si le patient resiste. Vous avez souffert par le theatre dans ces
derniers temps. Trop de tracasseries, d'incertitudes, d'impatiences, et
mille choses que je devine, sachant quel est le milieu et comment s'y
forgent les immenses contrarietes. Vous devez vous en affecter plus que
moi et plus que tout autre, parce que, apres les plus grands succes
obtenus dans ce temps-ci, vous aviez le droit d'imposer votre pensee,
votre forme, toutes les exigences legitimes, toutes les hardiesses,
toute la souveraine liberte de votre talent.
Vous avez trouve l'obstacle aussitot que les billets de banque ont un
peu diminue dans la caisse du theatre, et vous voila heurte a l'ecueil
du siecle: l'argent. Votre talent a grandi; mais, si les recettes ont
baisse, la foi abandonne le directeur, et tous les intermediaires dont
vous avez besoin pour reveler votre genie au public. Le public lui-meme
s'etonn
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