bouches, etre denaturee, je vous demande de voir le prince, qui est net
et vrai, lui, et de lui dire ceci: "Je ne mets aucune sotte fierte,
aucun esprit de parti, aucune nuance d'ingratitude a refuser un bienfait
de l'empereur. Si j'etais malade, infirme et dans la misere, je lui
demanderais peut-etre pour moi ce que j'ai plusieurs fois demande a
l'imperatrice et aux ministres pour des malheureux. Mais je me porte
bien, je travaille et je n'ai pas de besoins. Il ne me paraitrait pas
_honnete_ d'accepter une generosite a laquelle de plus a plaindre ont
des droits reels: si l'Academie me decerne le prix, je l'accepterai,
_non sans chagrin_, mais pour ne pas me _poser_ en fier-a-bras
litteraire et pour laisser donner une consecration exterieure a la
moralite de mes ouvrages pretendus immoraux. De cette facon, les
genereuses intentions de l'empereur a mon egard seront remplies. Si,
comme j'en suis bien sure, je suis eliminee, je ne me regarderai pas
comme frustree d'une somme d'argent que je n'ai pas desiree et dont je
suis toute dedommagee par l'interet que l'empereur veut bien me porter."
Voila!
A present, je dis tout cela _au cas que_...; car j'ignore si Buloz a
bien compris ce qu'on lui a dit et s'il est vrai que l'empereur se soit
_emu_ de cette petite affaire. Buloz m'a dit que la princesse Mathilde
_se chargeait de tout_, sans plus d'explication. Si la princesse
Mathilde est seule en cause, le prince le saura et lui dira _tout ce que
dessus_, comme disent eloquemment les notaires. S'il me le conseille,
j'ecrirai a cette excellente princesse pour la remercier, et a
l'empereur, s'il y a lieu. Ajoutez, pour le prince, que je l'aime de
toute mon ame, que j'irai visiter demain son _bateau_, dans la rade de
Toulon; car je vois bien qu'il ne viendra pas ici de sitot, et il fait
bien de ne pas songer a la mer, qui est horrible et furieuse presque
continuellement. J'ai ete hier, par une grosse houle, voir _l'Aigle_,
"galere capitane de Sa Majeste". C'est ravissant. Lucien a du vous en
faire la description; car il l'a vue avant moi.
Moi, je suis tourmentee parce que Maurice veut aller faire un tour en
Afrique. Il a bien raison et je serai contente qu'il voie ce pays; mais
j'ai peur qu'il ne veuille pas attendre la fin de ces tempetes et ca va
m'inquieter atrocement. Mais je ne le lui dis pas beaucoup; car il ne
faut pas rendre les enfants pusillanimes par contre-coup, ni gater leurs
plaisirs par l'aveu de nos anxietes.
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