Tamaris, 22 mai 1861.
Cher enfant,
Je descendais hier de la cime du Coudon; partie a onze heures du matin,
je rentrais a onze heures du soir, quand j'ai trouve ta lettre a la
maison. Juge si j'ai dine ou soupe de bon appetit! Le coeur content me
faisait oublier les jambes, vexees d'une ascension de deux heures et
d'une descente d'une heure dans des sentiers plus que vilains. Mais
quel endroit et quelle vue! On me disait que je verrais les montagnes
d'Afrique; mais je n'ai vu devant moi que la mer unie; comme un lac
incommensurable et tout a fait mysterieux a l'horizon. Le temps etait
pourtant clair; je distinguais parfaitement les neiges des Alpes et
le col de Tende, Nice, les montagnes de Marseille, etc. Je voyais dix
lieues de mer par-dessus la tete du cap Sicier. Mais d'Afrique point, et
je savais bien que c'etait une blague provencale impossible. N'importe,
je t'ai appele a travers l'espace, et je t'ai souhaite joie et sante.
J'etais la a six heures du soir fumant ma cigarette sans que la plus
petite brise contrariat mon allumette. Tu vois qu'il y a ici de beaux
jours, a la fin des fins, puisque, sur la plus haute cime, au bord de la
mer, on trouve cette atmosphere calme.
Je suis revenue en voiture (on fait la moitie du chemin avec un cheval
de charretier en _nenfort_), par un clair de lune splendide, sur une
route en zigzag des plus fantastiques. J'etais seule avec le bon
Matheron, a qui j'avais confie la garde de mes vieux os. Il ne me quitte
pas a la promenade et a le plus grand soin de moi.
J'ai grimpe avant-hier a Evenos. C'est le chateau noir en ruine qu'on
voit dans les gorges d'Ollioules; c'est tres beau aussi, mais dans un
autre genre et moitie moins haut. Hier, par exemple, j'ai ete _detemcee_
en route par une foule de contretemps insignifiants et betes: deux
heures d'attente pour avoir un cheval, un guide fou qui nous a egares,
etc., etc. Rien de facheux; seulement un peu de lassitude aujourd'hui,
mais pas de courbature. Tu vois que je vas bien, sauf peu de chose, et,
j'espere, une autre annee; si tu es content de l'Afrique, y aller avec
toi. Cette fois-ci, il faut retourner a Nohant pour n'etre pas dans la
gene avant qu'il soit peu. Nous partirons a la fin du mois au plus tard.
Ecris-moi a Nohant. Si je vas a Chambery, ce sera l'affaire de deux
ou trois jours seulement. C'est donc beau et curieux, cette Afrique?
Prends-en une bonne lampee, mais sans trop te fatiguer et sans coups de
s
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