dans sa chair savoureuse; voyez, l'aiguille est
si mince qu'il sera impossible d'apercevoir la trace de son passage dans
le fruit. D'ailleurs, le fruit n'en sera nullement gate, Seulement, la
personne qui aura mange cette peche sera prise, dans la journee, de
nausees et de vertiges; le soir, elle sera morte.
--Ah! ah!... Et ce liquide epais dans ce flacon, ce liquide qui
ressemble a de l'huile?
--C'est, en effet, de l'huile, madame. Si, lorsqu'on prepare la
veilleuse de Votre Majeste, on melangeait douze ou quinze gouttes de
cette huile a l'huile de la veilleuse. Votre Majeste s'endormirait
comme d'habitude sans eprouver ni angoisse ni malaise. Seulement,
elle s'endormirait un peu plus viee que d'habitude... et elle ne se
reveillerait plus.
--Admirable, Rene! et cette serie de minuscules flacons?
--Tout simplement des essences de fleurs, ma reine. Voici la rose, voici
l'oeillet et voici l'heliotrope; puis, l'essence de geranium; voici la
violette; voici l'oranger. Vous vous promenez dans vos jardins avec un
ami et vous lui faites remarquer la beaute d'un rosier, par exemple.
Votre ami admire et demande a cueillir la rose. Il la cueille et la
respire: c'est un homme mort si, la veille, vous avez fait une legere
incision sur l'arbuste et si, dans l'incision, vous avez verse dix
gouttes de cette essence... Vous pouvez aussi vous contenter de verser
une goutte sur la fleur que vous offrirez. Le parfum de la fleur n'est
pas modifie puisque chacune de ces essences possede le parfum lui-meme.
--Tres joli, Rene! Et ces cosmetiques?
--Ce sont des cosmetiques ordinaires, madame. Voici le noir pour les
sourcils et cils; voici le rouge pour les levres; voici la pate pour
etendre sur le visage; voici les crayons pour donner de la vivacite aux
yeux. Seulement, la femme qui aura employe cette pate ou ces crayons
sera prise, dans les deux jours qui suivront, de violentes demangeaisons
a la figure, et bientot un ulcere se produira, qui ravagera le plus beau
visage.
--Ah! ce n'est pas pour tuer, alors?
--Eh! madame, on tue une jolie femme en lui prenant sa beaute.
--Tout ceci est foudroyant, murmura Catherine. Qu'y a-t-il la? de l'eau?
-Oui, madame, de l'eau pure, sans gout, sans saveur, sans odeur, sans
parfum, de l'eau qui n'alterera en rien l'eau ou le vin, ou le liquide
quelconque avec lequel vous l'aurez melee dans la proportion infime
de trente a quarante gouttes pour une pinte. Ceci, madame, c'est le
chef-d'o
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