echal, s'il survient quelque obstacle, ne pourra que
se battre, et ceci est insuffisant. Nous avons besoin de force et nous
avons besoin de ruse. Damville est un rude jouteur, sans compter que
nous avons a nos trousses une foule de roquets de moindre importance.
--Je connais, dit Pardaillan, quelques bons garcons qui pourront ce soir
nous etre utiles. Il faudrait que j'aille faire un tour du cote de la
Truanderie.
--Allez donc, mon pere, et soyez prudent.
Le vieux routier jeta un dernier regard a son fils, hocha la tete et
s'eloigna.
Le chevalier decrocha sa rapiere, fit quelques tours dans la chambre et
s'assit dans un vaste fauteuil qu'on appelait dans l'hotel le fauteuil
du roi, parce que Henri Il s'y etait assis.
Qu'on n'aille pas croire que le chevalier venait de jouer vis-a-vis de
son pere la comedie du jeune amoureux qui parle avec detachement de sa
peine, en laissant sous-entendre le violent chagrin que cache le sourire
amer.
Le chevalier etait sincere au point qu'il ne jouait meme pas la comedie
avec lui-meme, ce qui est encore plus difficile que de ne pas la jouer
avec les autres.
Le sourire de pince-sans-rire qui lui etait habituel ne disparut pas de
ses levres. Il ne pleura pas. Il ne soupira pas. Chez lui, les choses se
passaient en dedans.
Il etait naif. Une douleur entrevue meme chez des inconnus lui serrait
le coeur. Il revait de fabuleuses richesses pour etancher des larmes
partout ou il passerait. A defaut de richesses, il revait de parcourir
le monde en aidant les opprimes, en frappant les oppresseurs. Il ne
s'etait jamais admire soi-meme. Mais il comprenait vaguement qu'il etait
exceptionnel et digne d'admiration. Il en resultait que parfois des
bouffees d'ambition montaient a son cerveau. L'ambition de quelque
magnifique et glorieuse destinee.
Il calculait exactement sa valeur, et nous l'avons vu devant le roi,
c'est-a-dire devant un etre d'essence superieure, tout voisin de la
divinite, calme, paisible, railleur a son habitude, comme devant un
egal. Et, au fond de lui-meme, il s'etait effare de n'avoir pas tremble
devant la majeste royale.
Lors donc qu'il se trouva seul, il n'eprouva pas le besoin de modifier
son attitude. Il avait simplement dit a son pere qu'il ne lui restait
plus qu'a mourir, parce qu'il se jugeait incapable de surmonter l'amour
qui avait pris possession de son coeur. Avec la meme simplicite, il eut
sanglote, s'il en eut eprouve le besoin.
Tel etait ce
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