moi. Ce fut alors que je lui fis ecrire cette lettre
ou elle s'accusait elle-meme d'avoir tue son fils. Et moi, pour me
venger, sachant l'usage que vous en feriez, je vous remis cette lettre.
--Ah! ah! vous aviez donc pense que je ferais juger Alice et que le
bourreau serait charge de votre vengeance!...
--Non, madame; je vous avais observee, je vous connaissais... C'est vous
dire que je vous savais incapable d'un acte aussi peu profitable que de
tuer une femme, d'un seul coup. Je pensais qu'armee de cette lettre vous
obligeriez cette femme a devenir votre esclave; je pensais qu'un
jour viendrait ou elle aimerait; je pensais que vous n'auriez pas la
generosite de couvrir son passe; je pensais que, ce jour-la, elle
souffrirait ce que j'avais souffert, et que je serais venge... Vous
m'avez demande de la franchise, madame...
--Oui. En voila, et de la vraie! Mais, je ne vous en veux pas, au
contraire! Vous etes un homme superieur, marquis!
--Ah! madame, s'ecria le moine avec un sombre accent de desespoir, benie
serait la minute ou, pour vous avoir offensee, vous me livreriez au
bourreau! Car, je serais alors delivre de cette existence que je n'ai
pas le courage de terminer! Quant a tirer parti de moi... regardez-moi,
je ne suis plus qu'une loque humaine... J'ai eu un moment l'espoir qu'a
force de tourmenter mon cerveau j'en arriverais a croire en Dieu...
--Et vous ne croyez pas?
--Non, madame.
--Je vous plains, dit Catherine.
--J'ai fait ce que j'ai pu; mes predications furieuses contre les
heretiques, l'audace de mes attaques contre le roi, votre fils, avaient
fini par m'exalter... mais je suis retombe dans mon neant...
--Pourquoi? demanda vivement la reine.
--Parce que j'ai rencontre cette femme; parce que l'amour que j'avais
cru etouffe s'est reveille plus violent que jadis!...
Les yeux de Catherine lancerent un eclair.
"Je le tiens!" songea-t-elle.
Il y eut quelques minutes de long silence, pendant lesquelles Catherine
se garda de faire le moindre geste.
Ce fut le moine qui revint le premier. Il fixa sur la reine un regard
interrogateur.
--Vous voulez savoir ce que je suis venue faire ici? demanda Catherine.
--J'ai le devoir d'ecouter Votre Majeste, mais non le droit de
l'interroger.
--Eh bien, je vais donc faire comme si vous m'aviez interrogee et vais
repondre a la question que je lis dans vos yeux. Rassurez-vous, je ne
viens pas vous demander d'etre mon confesseur...
Le moine
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