et le
bonheur m'attendaient sur d'autres rivages. Durant la route, je ne
voulus pas le quitter un seul instant. Je lui permettais a peine de
descendre de mon cou, et aux heures du sommeil, pour me preserver
d'une poignante inquietude, il dormait entre mes jambes. J'etais
jaloux, et ne voulais pas qu'il recut d'autre nourriture que celle que
je lui presentais; je choisissais pour lui les meilleurs fruits, et
je lui tendais avec ma trompe le vase que je remplissais moi-meme
de l'eau la plus pure. Je l'eventais avec de larges feuilles; en
traversant les bois et les jungles, j'abattais sans m'arreter les
arbustes epineux qui eussent pu l'atteindre et le dechirer. Je faisais
enfin, mais mieux que tous les autres, tout ce que font les elephants
bien dresses, et je le faisais de ma propre volonte, non d'une maniere
banale, mais pour mon seul ami.
"Des que nous eumes atteint la frontiere birmane, une deputation du
souverain vint au-devant de moi. Je fus inquiet du ceremonial qui
m'entourait. Je vis que l'on donnait de l'or et des presents aux
chasseurs malais qui m'avaient accompagne et qu'on les congediait.
Allait-on me separer d'Aor? Je montrai une agitation effrayante, et je
menacai les hauts personnages qui approchaient de moi avec respect.
Aor, qui me comprenait, leur expliqua mes craintes, et leur dit que,
separe de lui, je ne consentirais jamais a les suivre. Alors, un des
ministres charges de ma reception, et qui etait reste sous une tente,
ota ses sandales, et vint a moi pour me presenter a genoux une lettre
du roi des Birmans, ecrite en bleu sur une longue feuille de palmier
doree. Il s'appretait a m'en donner lecture lorsque je la pris de ses
mains et la passai a mon mahout pour qu'il me la traduisit. Il n'avait
pas le droit, lui qui appartenait a une caste inferieure, de toucher a
cette feuille sacree. Il me pria de la rendre au seigneur ministre de
Sa Majeste, ce que je fis aussitot pour marquer ma deference et mon
amitie pour Aor. Le ministre reprit la lettre, sur laquelle on deplia
une ombrelle d'or, et il lut:
"Tres-puissant, tres-aime et tres-venere elephant, du nom de _Fleur
sacree_, daignez venir resider dans la capitale de mon empire, ou un
palais digne de vous est deja prepare. Par la presente lettre royale,
moi, le roi des Birmans, je vous alloue un fief qui vous appartiendra
en propre, un ministre pour vous obeir, une maison de deux cents
personnes, une suite de cinquante elephants, autant de chevaux
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