'a dit
que celle de mon ami Cadol viendrait ensuite. Or, pour rien au monde, je
ne veux passer sur le corps de cet enfant. Cela me remet assez loin et
ne me contrarie _ni ne me nuit_ en rien. Quel style! heureusement,
je n'ecris pas pour Buloz. J'ai vu votre ami, hier soir, au foyer de
l'Odeon. Je lui ai serre les mains. Il avait l'air heureux. Et puis j'ai
cause avec Duquesnel, de ta feerie. Il a grand envie de la connaitre;
vous n'avez qu'a vous montrer quand vous voudrez vous en occuper: vous
serez recu a bras ouverts.
Mario Proth me donnera demain ou apres-demain les renseignements exacts
sur la transformation du journal. Demain, je sors et j'achete les
souliers de votre chere maman; la semaine prochaine, je vais a Palaiseau
et je cherche mon livre sur la faience. Si j'oublie quelque chose,
rappelez-le-moi.
Je repondrai a toutes les questions, tout bonnement, comme vous avez
repondu aux miennes. On est heureux, n'est-ce pas, de pouvoir dire toute
sa vie? C'est bien moins complique que ne le croient les bourgeois et
les mysteres que l'on peut reveler a l'ami sont toujours le contraire de
ce que supposent les indifferents.
J'ai ete tres heureuse, pendant ces huit jours, aupres de vous: aucun
souci, un bon nid, un beau paysage, des coeurs affectueux et votre belle
et franche figure qui a quelque chose de paternel. L'age n'y fait rien,
on sent en vous une protection de bonte infinie, et, un soir que vous
avez appele votre mere _ma fille_, il m'est venu deux larmes dans
les yeux. Il m'en a coute de m'en aller, mais je vous empechais de
travailler et puis, et puis--une maladie de ma vieillesse, c'est de ne
pas pouvoir tenir en place. J'ai peur m'attacher trop et de lasser. Les
vieux doivent etre d'une discretion extreme. De loin, je peux vous dire
combien je vous aime sans craindre de rabacher. Vous etes un des _rares_
restes impressionnables, sinceres, amoureux de l'art, pas corrompus
par l'ambition, pas grises par le succes. Enfin, vous aurez toujours
vingt-cinq ans par toute sorte d'idees qui ont vieilli, a ce que
pretendent les seniles jeunes gens de ce temps-ci. Chez eux, je
crois bien que c'est une pose, mais elle est si bete! si c'est une
impuissance, c'est encore pis. Ils sont _hommes de lettres_ et pas
_hommes_. Bon courage au roman! Il est exquis; mais, c'est drole, il y a
tout un cote de vous qui ne se revele ni ne se trahit dans ce que vous
faites, quelque chose que vous ignorez probablement. Ca viendra
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