roles ont un feu qui
me penetre; je t'adore, je te respecte. Il n'est ni rang, ni naissance, ni
fortune, qui ne disparoisse devant une ame comme la tienne; j'aurois honte
que mon orgueil tint encore contre toi, et mon coeur et ma main
t'appartiennent.
SILVIA.
En verite, ne meriteriez-vous pas que je les prisse? Ne faut-il pas etre
bien genereuse pour vous dissimuler le plaisir qu'ils me font? et croyez-
vous que cela puisse durer?
DORANTE.
Vous m'aimez donc?
SILVIA.
Non, non; mais, si vous me le demandez encore, tant pis pour vous.
DORANTE.
Vos menaces ne me font point de peur.
SILVIA.
Et Mario, vous n'y songez donc plus?
DORANTE.
Non, Lisette; Mario ne m'alarme plus: vous ne l'aimez point; vous ne
pouvez plus me tromper; vous avez le coeur vrai; vous etes sensible a
[250] ma tendresse, je ne saurais en douter au transport qui m'a pris;
j'en suis sur, et vous ne sauriez plus m'oter cette certitude-la.
SILVIA.
Oh! je n'y tacherai point;[251] gardez-la, nous verrons ce que vous en
ferez.
DORANTE.
Ne consentez-vous pas d'etre a moi?
SILVIA.
Quoi! vous m'epouserez malgre ce que vous etes, malgre la colere d'un
pere, malgre votre fortune?
DORANTE.
Mon pere me pardonnera des qu'il vous aura vue: ma fortune nous suffit a
tous deux, et le merite vaut bien la naissance.[252] Ne disputons point,
car je ne changerai jamais.
SILVIA.
Il ne changera jamais! Savez-vous bien que vous me charmez, Dorante.
DORANTE.
Ne genez donc plus votre tendresse, et laissez-la repondre...
SILVIA.
Enfin, j'en suis venu a bout: vous... vous ne changerez jamais?
DORANTE.
Non, ma chere Lisette.
SYLVIA.
Que d'amour!
SCENE DERNIERE.
M. ORGON, SILVIA, DORANTE, LISETTE, ARLEQUIN, MARIO.
SILVIA.
Ah! mon pere, vous avez voulu que je fusse a Dorante: venez voir votre
fille vous obeir avec plus de joie qu'on n'en eut jamais.
DORANTE.
Qu'entends-je! vous, son pere, Monsieur?
SILVIA.
Oui, Dorante. La meme idee de nous connoitre nous est venue a tous deux;
apres cela, je n'ai plus rien a vous dire. Vous m'aimez, je n'en saurais
douter; mais, a votre tour, jugez de mes sentiments pour vous; jugez du
cas que j'ai fait de votre coeur par la delicatesse avec laquelle j'ai
tache de l'acquerir.
M. ORGON.
Connoissez-vous cette lettre-la? Voila par ou j'ai appris votre
deguisement, qu'elle n'a pourtant su que par vous.
DORANTE.
Je ne saurais vous exprimer mon bonheur, Madame;[25
|