ou de tuteur. Tuteur,
pouvait-on l'etre quand pour la jeunesse du corps, de l'esprit et du
coeur on n'avait pas trente ans? Il eut voulu jouer dans la vie les
Bartolo, que pour son elegance et sa desinvolture, pour sa souplesse,
son entrain, on eut bien plutot vu en lui Almaviva, un peu marque
peut-etre, mais a coup sur un vainqueur.
--Et maintenant, mignonne, dit-il lorsqu'ils furent a l'abri des
oreilles curieuses, que comptes-tu faire?
--Comment cela, mon oncle?
--Je veux dire: maintenant que tu es emancipee, comment veux-tu arranger
ta vie?
--Est-ce que cette emancipation m'a metamorphosee d'un coup de baguette
magique?
--Certainement.
--Je suis autre aujourd'hui que je n'etais hier, cet apres-midi que je
n'etais ce matin?
--Sans doute.
--Je ne le sens pas du tout, meme quand vous me le dites.
--Tu as la volonte, la liberte; et je te demande comment tu veux en
user.
--Mais simplement en continuant la semaine prochaine ce que j'ai fait la
semaine derniere: demain, M. Lavalette viendra a Chambrais et me fera
une conference de litterature sur le Chatterton d'Alfred de Vigny;
apres-demain, je viendrai a Paris et je travaillerai de une heure a
trois, dans l'atelier de M. Casparis, a mon groupe de chiens qui avance;
vendredi, c'est le jour de M. Nicetas; nous ferons de la musique
d'accompagnement.
--C'est le grand jour, celui-la; tu aimes mieux Mozart qu'Alfred de
Vigny, et M. Nicetas que M. Lavalette.
--Je vous assure que M. Lavalette est tres interessant, il sait tout et
il vous fait tout comprendre.
--Cependant tu preferes le jour de M. Nicetas.
--Je reconnais que la musique est ma grande joie.
--Pendant que j'ai encore une certaine autorite sur toi....
--Mais vous aurez toujours toute autorite sur moi, mon oncle.
--Enfin, laisse-moi te dire, ma chere enfant, que tu te donnes
trop entierement a la musique. Plusieurs fois, je t'ai adresse des
observations a ce sujet. Aujourd'hui, j'y reviens et j'insiste, car tu
m'inquietes.
--Vous n'aimez pas la musique!
--Tu te trompes; j'aime la musique comme distraction, je ne l'aime pas
comme occupation, et ce que je te reproche, c'est de ne pas t'en tenir a
la simple distraction. Il en est d'elle comme des parfums; respirer un
parfum par hasard, est agreable; vivre dans une atmosphere chargee de
parfums, est aussi desagreable que dangereux. Tandis que la pratique des
autres arts fortifie, celle de la musique poussee a l'exces affaiblit
|