azettes. D'ordinaire, on decachetait sur place tous
les paquets; on se communiquait les nouvelles, et le bureau
presentait le tableau le plus anime. Les lettres de
Silvio lui etaient adressees a notre regiment, et il venait
les chercher avec nous autres. Un jour, on lui remit une
[20]lettre dont il rompit le cachet avec precipitation. En la
parcourant, ses yeux brillaient d'un feu extraordinaire.
Nos officiers, occupes de leurs lettres, ne s'etaient apercus
de rien.
--Messieurs, dit Silvio, des affaires m'obligent a partir
[25]precipitamment. Je me mets en route cette nuit; j'espere
que vous ne refuserez pas de diner avec moi pour la derniere
fois.--Je compte sur vous aussi, continua-t-il en se
tournant vers moi. J'y compte absolument.
La-dessus, il se retira a la hate, et, apres etre convenus
[30]de nous retrouver tous chez lui, nous nous en allames
chacun de son cote.
J'arrivai chez Silvio a l'heure indiquee, et j'y trouvai
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presque tout le regiment. Deja tout ce qui lui appartenait
etait emballe. On ne voyait plus que les murs nus et
mouchetes de balles. Nous nous mimes a table. Notre
hote etait en belle humeur, et bientot il la fit partager a
[5]toute la compagnie. Les bouchons sautaient rapidement;
la mousse montait dans les verres, vides et remplis sans
interruption; et nous, pleins d'une belle tendresse, nous
souhaitions au partant heureux voyage, joie et prosperite.
Il etait tard quand on quitta la table. Lorsqu'on
[10]en fut a se partager les casquettes, Silvio dit adieu a
chacun de nous, mais il me prit la main et me retint au
moment meme ou j'allais sortir.
--J'ai besoin de causer un peu avec vous, me dit-il tout
bas.
[15]Je restai.
Les autres partirent et nous demeurames seuls, assis
l'un en face de l'autre, fumant nos pipes en silence. Silvio
semblait soucieux et il ne restait plus sur son front la
moindre trace de sa gaiete convulsive. Sa paleur sinistre,
[20]ses yeux ardents, les longues bouffees de fumee qui
sortaient de sa bouche, lui donnaient l'air d'un vrai demon.
Au bout de quelques minutes, il rompit le silence.
--Il se peut, me dit-il, que nous ne nous revoyions jamais:
avant de nous separer, j'ai voulu avoir une
[25]explication avec nous. Vous avez pu remarquer que je me
soucie peu de l'opinion des indifferents; mais je vous
aime, et je sens qu'il me serait penible de vous laisser de
moi une opinion defavorable.
Il s'interrompit pour faire tomber la cendre de
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