ui se cramponne, du moins je crois le
voir a quelques phrases de votre lettre. Cela ne me surprend point:
l'air du pays n'est pas leger, la societe n'est pas delicate, les
cancans ne sont pas spirituels et les plaisirs ne sont pas du tout. On
vit en tous lieux, je le sais, mais avec des interets, un menage, une
occupation personnelle, des projets et des profits. A votre age, on
n'a rien de tout cela, et au mien... que vous dirai-je? cela ne suffit
pas encore. Un peu de patience! quand nous aurons quarante ans, nous
serons les meilleurs Berrichons du monde.
En attendant, il faut bien varier un peu la vie. Au lieu de vous faire
des sermons, je vous engagerai a venir a Paris le plus que vous
pourrez. Je sais que les parents ne lachent guere leurs enfants; mais
vous qu'on aime et qu'on gate passablement, si vous montriez un desir
bien prononce, vous ne trouveriez pas de resistance. Si l'on voulait
m'ecouter, je parlerais bien pour vous, tant je suis penetree de
l'impossibilite de vivre heureux a la Chatre quand on n'est ni vieux,
ni pere de famille, ni _raisonnable par force_.
Je ne suis pas de ceux qui disent: _Vivre, c'est s'amuser_, ou plutot
je ne l'entends pas comme eux. Ce n'est pas l'Opera qu'il vous faut
tous les jours pour passer agreablement la soiree. L'Opera est chose
delicieuse, mais on peut rire ailleurs et de tout son coeur. Odry
meme, le sublime Odry, n'est pas indispensable a ma felicite,
quoiqu'il y contribue puissamment. Je m'amuse _partout_.--Partout
(entendons-nous) ou je ne vois pas la haine, le soupcon, l'injustice
et l'aigreur empester l'air que je respire. Si les gens n'etaient pas
mechants, je leur passerais bien d'etre betes; mais, pour notre
malheur, ils sont l'un et l'autre. Voila pourquoi la province est
odieuse. Il y a un venin cache partout, et l'on peut dire d'elle ce
que Victor Hugo dit de la prison: _Vous y cueillez une fleur, et elle
pique ou elle pue_. C'est barroque, mais c'est vrai.
Il me tarde pourtant de retourner en Berry; car j'ai des enfants que
j'aime plus que tout le reste. Sans l'espoir de leur etre plus utile
un jour avec la plume du scribe qu'avec l'aiguille de la menagere, je
ne les quitterais pas si longtemps. Je veux, malgre les difficultes
sans nombre que je rencontre, faire les premiers pas dans cette
carriere epineuse.
Je me suis enfin decidee a ecrire dans _le Figaro_, et je suis charmee
que vous y soyez abonne; ce sera une maniere de causer avec vous,
surtout
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