'a parler pour etre obeie. Si vous
n'etes pas contente de nous, je suis bien sure que ce ne sera pas de
notre faute.
Adieu, ma chere maman; je vous embrasse de toute mon ame, ainsi que ma
soeur et Oscar.
Donnez-moi de vos nouvelles et des leurs.
XLIII
A M. JULES BOUCOIRAN, A CHATEAUROUX
Nohant, 27 octobre 1830.
Je vous remercie, mon cher enfant, de vos deux billets. Je me doutais
bien de l'exageration des rapports sur Issoudun qui nous etaient
parvenus. Il en est ainsi de toutes les nouvelles, veritables cancans
politiques, qui grossissent en roulant par le monde.
La verite a toujours quelque chose de trivial qui deplait aux esprits
poetiques. Nous sommes d'ailleurs dans le pays, dans la terre
classique de la poesie, on ne dit jamais les choses comme elles sont.
Voit-on des cochons, ce sont des elephants; des oies, ce sont des
princesses; ainsi du reste. Je suis lasse et degoutee de tout cela;
aussi je ne lis plus les journaux. J'execre l'esprit de commerage des
coteries provinciales: c'est une guerre de menteries, un assaut
d'absurdites qui fait mal au coeur, pour peu qu'on en ait. Je ne
trouve en dehors de ma vie intime, rien qui merite un sentiment
d'interet veritable.
De nos jours, l'enthousiasme est la vertu des dupes. Siecle de fer,
d'egoisme, de lachete et de fourberie, ou il faut railler ou pleurer
sous peine d'etre imbecile ou miserable. Vous savez quel parti je
prends. Je concentre mon existence aux objets de mes affections. Je
m'en entoure comme d'un bataillon sacre qui fait peur aux idees noires
et decourageantes. Absents ou presents, mes amis remplissent mon ame
tout entiere; leur souvenir y apporte la joie, efface la pointe aceree
des douleurs cuisantes, souvent repetees. Le lendemain ramene un rayon
de soleil et d'esperance. Alors je me moque des larmes de la veille.
Vous vous etonnez souvent de mon humeur mobile, de mon caractere
flexible. Ou en serais-je sans cette faculte de m'etourdir? Vous
connaissez tout dans ma vie, vous devez comprendre que, sans
l'heureuse disposition qui me fait oublier vite le chagrin, je serais
maussade et sans cesse repliee sur moi-meme, inutile aux autres,
insensible a leur affection.
Loin de la, cette faculte d'oublier m'inspire tant de reconnaissance,
m'apporte tant de consolations, que je suis fiere de pouvoir dire a
ceux qui m'aiment: "Vous me rendez le bonheur et la gaiete, vous me
dedommagez de ce qui me man
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