de l'argent plus
que je n'en ai; il faut que j'en gagne, ou que je me mette a avoir de
l'ordre. Or ce dernier point est si difficile, qu'il ne faut pas meme
y songer.
Je suis ici pour un peu de temps, c'est-a-dire pour deux ou trois
mois; apres quoi, je reviendrai au pays, piocher toutes les nuits et
galoper tous les jours, selon ma douce habitude, au grand scandale et
mecontentement de nos honorables compatriotes. S'ils vous disent du
mal de moi, mon cher ami, ne vous echauffez pas la bile a me defendre;
laissez les dire.
Chauffez-vous tranquillement les pieds, ayez de bonnes pantoufles et
de la philosophie. J'en possede autant, et, par-dessus tout, une
vieille et sincere amitie pour vous, dut-on aussi en medire. Je ne
suis pas de ceux qui sacrifient leurs amis a leurs ennemis.
Bonsoir, mon camarade; je vous embrasse.
[1] Surnom de M. Alphonse Fleury, de la Chatre.
LVII
A MAURICE DUDEVANT, A NOHANT
Paris, 25 janvier 1831.
Tu as du recevoir, mon cher enfant, une lettre de moi le lendemain ou
le surlendemain de celle que tu m'as ecrite. Dis a ton papa de
m'envoyer de l'argent. Aussitot que j'en aurai, je t'enverrai ton
habit de garde national. J'ai vu ta bonne maman Dudevant plusieurs
fois. Elle ne m'a pas parle d'argent et je ne me soucie pas de lui en
demander. Dis tout cela a ton papa. Je n'ai plus que ce qu'il me faut
pour ma consommation, et je ne puis depenser une cinquantaine de
francs (au moins) sans en emprunter. C'est ce que je ferai, si je n'en
recois pas bientot, car tu as bien envie de cet habit, et j'ai bien
envie aussi de te l'envoyer. Reponds-moi tout de suite et mets dans ta
lettre un fil pour la grosseur de ta tete afin que je t'achete aussi
le schako. Dis a ton papa de te mesurer et de me dire ta taille bien
au juste, afin que l'habit et le pantalon ne soient pas trop grands.
Ta bonne maman Dupin, qui est a Charleville, a ecrit a M. Pierret de
t'acheter un joujou pour tes etrennes. Je le mettrai dans la caisse
avec une poupee pour Leontine et une pour Solange.
Je suis bien aise que tu te portes bien, mon amour; mais je ne veux
pas que tu aies du chagrin, cela augmenterait beaucoup le mien. J'ai
reve cette nuit que tu etais bien malade, et je me suis reveillee en
pleurant. Heureusement, une heure apres, j'ai recu la lettre de ton
papa et la tienne. Amuse-toi et ne pense a moi que pour te rappeler
que je t'aime bien et que je reviendrai bientot
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