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Boucoiran doit etre a Nohant; tu vas avoir de l'occupation. Il te fera
jouer quand tu auras bien travaille. Tu m'ecriras tout ce que tu fais,
et, s'il est content de toi, ta petite maman sera bien heureuse et
t'aimera encore davantage. Tu seras sage par amitie pour moi, n'est-ce
pas, mon cher enfant?
Embrasse ton papa, et qu'il soit bien content de toi. Embrasse aussi
ton oncle, ta tante, ta soeur et Leontine. Pour toi, mon cher amour,
je t'embrasse mille fois. Tu sais que tu es ce que j'ai de plus cher
au monde. Aime-moi aussi et porte-toi toujours bien.
Ta mere.
Solange parle-t-elle quelquefois de sa maman? Empeche qu'elle ne
m'oublie.
LVIII
A M. JULES BOUCOIRAN A NOHANT
Paris, 12 fevrier 1831.
Mon cher enfant,
Je vous remercie de votre bonne lettre; ecrivez-moi souvent, je vous
en prie. Je ne sais que par vous avec exactitude l'etat de mes
enfants. Dites a Maurice de m'ecrire, en le laissant libre et
d'ecriture, et d'orthographe, et de style. J'aime ses naivetes et ses
barbouillages. Je ne veux pas qu'il considere l'heure de m'ecrire
comme une heure de travail. Une page deux fois la semaine, ce ne sera
pas assez pour l'embrouiller dans ses progres. Je suis bien contente
qu'il se rende a la necessite de travailler sans verser trop de
larmes. Une fois l'habitude prise, il ne se trouvera pas plus
malheureux qu'auparavant.
Mon mari me mande que vous etes maigre et au regime. Etes-vous
reellement bien gueri, mon cher enfant? Soignez-vous, ne couchez pas
sans feu comme vous le faisiez par negligence l'annee derniere, et
ayez toujours une tisane rafraichissante dans votre chambre. Moi, le
grand medecin de Nohant, je vous traiterais _ex professo_. Que
deviennent donc tous les malades du village, depuis que je ne suis
plus la pour les guerir ou pour les tuer?
Je vous dirai en confidence avoir eu ici l'occasion d'exercer mes
talents; aupres de qui? je vous le donne en cent! Aupres de madame
P..., mon implacable ennemie. La malheureuse femme vient de faire un
triste voyage a Paris, pour enterrer un fils de vingt ans. Elle etait
mourante de douleur lorsque le hasard m'a fait connaitre sa situation.
J'ai couru a elle sur-le-champ, je l'ai trouvee entouree de jeunes
gens qui pleuraient leur camarade et s'affligeaient de l'absence d'une
femme aupres de la mere desolee. J'ai passe la nuit sur une chaise
aupres d'elle. Une triste nuit! Mais, lorsqu'elle m'a reconnue e
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