me une compagne libre, qui ne demeurera pres de lui que lorsqu'il
en sera digne.
Ne me trouvez pas impertinente. Rappelez-vous comme j'ai ete humiliee!
cela a dure huit ans! En verite, vous me le disiez souvent, les
faibles sont les dupes de la societe. Je crois que ce sont vos
reflexions qui m'ont donne un commencement de courage et de fermete.
Je ne me suis radoucie qu'aujourd'hui. J'ai dit que je consentirais a
revenir si ces conditions etaient acceptees, et elles le seront.
Mais elles dependent encore de quelqu'un, ne le devinez-vous pas?
C'est de vous, mon ami, et j'avoue que je n'ose pas vous prier, tant
je crains de ne pas reussir. Cependant voyez quelle est ma position:
si vous etes a Nohant, je puis respirer et dormir tranquille; mon
enfant sera en de bonnes mains, son education marchera, sa sante sera
surveillee, son caractere ne sera gate ni par l'abandon ni par la
rigueur outree. J'aurai par vous de ses nouvelles tous les jours, de
ces details qu'une mere aime tant a lire. Si je laisse mon fils livre
a son pere, il sera gate aujourd'hui, battu demain, neglige toujours,
et je ne retrouverai en lui qu'un mechant polisson. On ne m'ecrira que
pour me le faire malade, afin de me contrarier ou me faire revenir.
Si ce devait etre la son sort, j'aimerais mieux supporter le mien tel
qu'il est aujourd'hui et rester pres de lui, pour adoucir du moins la
brutalite de son pere.
D'un autre cote, mon mari n'est pas aimable, madame Bertrand ne l'est
pas non plus; mais on supporte d'une femme ce qu'on ne supporte pas
d'un homme, et, pendant trois mois d'ete, trois mois d'hiver (c'est
ainsi que je compte partager mon temps), ferez-vous aux interets de
mon fils, c'est-a-dire a mon repos, a mon bonheur, le sacrifice de
supporter un interieur triste, froid et ennuyeux? Prendrez-vous sur
vous d'etre sourd a des paroles aigres et indifferent a un visage
refrogne? Il est vrai de dire que mon mari a entierement change
d'opinion a votre egard et qu'il ne vous a donne, cette annee, aucun
sujet de plainte; mais, a l'egard des gens qu'il aime le mieux, il est
encore fort maussade parfois. Helas! je n'ose pas vous prier, tandis
que, la famille Bertrand, riche et aujourd'hui dans une position
brillante, vous offre mille avantages, le sejour de Paris, ou
peut-etre elle va se fixer, par suite de la nomination du general a la
tete de l'Ecole polytechnique.
Que ferai-je si vous me refusez? De quel droit insisterai-je pour vous
fair
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