craint pas de se repandre
en invectives contre ma personne, de me traiter tour a tour de
carliste, de jesuite, d'ultramontrain, de serpent, de crocodile, de
boa, d'hypocrite, de chouan, de Ravaillac!
Quelle ame honnete ne serait revoltee a cette epouvantable liste
d'epithetes infamantes; epithetes gratuitement deversees sur un chien
de bonne vie et moeurs, d'apres deux accusations aussi frivoles,
aussi, peu averees!
Mais je meprise ces outrages et n'en fais pas plus de cas que d'un os
sans viande.
M. Fleury ment a sa conscience lorsqu'il rapporte avoir entendu sortir
de ma gueule le mot de factieux applique aux glorieux liberateurs de
la patrie. Je vous le demande, o vous qui ne craignez pas de fletrir
la reputation d'un chien paisible, ai-je pu me rendre coupable d'une
aussi absurde injustice? Pouvez-vous supposer que j'aie le moindre
interet a meconnaitre les bienfaits de la Revolution? N'est-ce pas
sous l'abominable prefecture d'un favori des Villele et des Peyronnet,
que les chiens out ete proscrits comme, du temps d'Herode, le furent
d'innocents martyrs enveloppes dans la ruine d'un seul?
N'est-ce pas en faveur des prerogatives de la noblesse et de
l'aristocratie que l'entree des Tuileries fut interdite aux chiens
libres, accordee seulement comme un privilege a cette classe degradee
des bichons et des carlins, que les douairieres du noble faubourg
trainent en laisse comme des esclaves au collier dore? Oui, j'en
conviens, il est une race de chiens devouee de tout temps a la cour et
avilie dans les antichambres: ce sont les carlins, dont le nom offre
assez de similitude avec celui de carlistes, pour qu'on ne s'y
meprenne point. Mais nous, descendants des libres montagnards des
Pyrenees, race pastorale et agreste, nous qui, au milieu des neiges et
des rocs inaccessibles, gardons contre la dent sanglante des loups et
des ours, contre la serre cruelle des aigles et des vautours, les
jeunes agneaux et les blanches brebis de la romantique vallee
d'Andore!... Ah! ce souvenir de ma patrie et de mes jeunes ans
m'arrache des larmes involontaires! Je crois voir encore mon
respectable pere, le vaillant et redoutable _Pigon_, avec son triple
collier de pointes de fer, ou la depouille sanglante des loups avait
laisse de glorieuses empreintes. Je le vois se promener
majestueusement au milieu du troupeau, tandis que les brebis se
rangeaient en haie sur son passage dans une attitude respectueuse,
tandis que moi, faible en
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