se bornaient point au
present et s'etendaient a l'avenir, le plan moral de Malicorne,
disons-nous, etait celui-ci:
Faire entrer chez Madame Henriette une femme devouee a lui,
spirituelle, jeune, jolie et intrigante; savoir, par cette femme,
tous les secrets feminins du jeune menage, tandis que lui,
Malicorne, et son ami Manicamp sauraient, a eux deux, tous les
mysteres masculins de la jeune communaute.
C'etait par ces moyens qu'on arriverait a une fortune rapide et
splendide a la fois.
Malicorne etait un vilain nom; celui qui le portait avait trop
d'esprit pour se dissimuler cette verite; mais on achetait une
terre, et Malicorne de quelque chose, ou meme de Malicorne tout
court, sonnait fort noblement a l'oreille.
Il n'etait pas invraisemblable que l'on put trouver a ce nom de
Malicorne une origine des plus aristocratiques.
En effet, ne pouvait-il pas venir d'une terre ou un taureau aux
cornes mortelles aurait cause quelque grand malheur et baptise le
sol avec le sang qu'il aurait repandu?
Certes, ce plan se presentait herisse de difficultes; mais la plus
grande de toutes, c'etait Mlle de Montalais elle-meme.
Capricieuse, variable, sournoise, etourdie, libertine, prude,
vierge armee de griffes, Erigone barbouillee de raisins, elle
renversait parfois, d'un seul coup de ses doigts blancs ou d'un
seul souffle de ses levres riantes, l'edifice que la patience de
Malicorne avait mis un mois a etablir. Amour a part, Malicorne
etait heureux; mais cet amour, qu'il ne pouvait s'empecher de
ressentir, il avait la force de le cacher avec soin, persuade
qu'au moindre relachement de ces liens, dont il avait garrotte son
Protee femelle, le demon le terrasserait et se moquerait de lui.
Il humiliait sa maitresse en la dedaignant. Brulant de desirs
quand elle s'avancait pour le tenter, il avait l'art de paraitre
de glace, persuade que, s'il ouvrait ses bras, elle s'enfuirait en
le raillant. De son cote, Montalais croyait ne pas aimer
Malicorne, et, tout au contraire, elle l'aimait. Malicorne lui
repetait si souvent ses protestations d'indifference, qu'elle
finissait de temps en temps par y croire, et alors elle croyait
detester Malicorne. Voulait-elle le ramener par la coquetterie,
Malicorne se faisait plus coquet qu'elle. Mais ce qui faisait que
Montalais tenait a Malicorne d'une indissoluble facon, c'est que
Malicorne etait toujours bourre de nouvelles fraiches apportees de
la cour et de la ville; c'est que Malicorne a
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