usement je sais fort
bien traduire en prose. Quant a la pauvre Ottilie, on ne m'en parle
que pour accuser la nature de n'avoir place aucune disposition
artistique, aucun germe de perfectionnement intellectuel dans une
creature si bonne et si jolie. Cette erreur ne m'etonne point, car je
retrouve dans Ottilie l'image vivante de sa mere, ma meilleure amie,
qui a grandi a mes cotes. Je suis persuadee que sa fille serait
bientot une femme accomplie, s'il m'etait possible de l'avoir sous ma
direction.
Nos conventions ne me le permettent pas, et je sais qu'il est
dangereux de tirailler sans cesse le cadre dans lequel on a cru devoir
enfermer sa vie. Je me soumets a cette necessite; je fais plus: je
souffre que ma fille, trop fiere de ses avantages sur une parente qui
doit tout a ma bienfaisance, en abuse parfois. Helas! qui de nous a
reellement assez de superiorite pour ne jamais la faire peser sur
personne? et qui de nous est place assez haut pour ne jamais etre
reduit a se courber sous une domination injuste? Le malheur d'Ottilie
la rend plus chere a mes yeux; ne pouvant l'appeler pres de moi, je
cherche a la placer dans une autre institution. Voila ou j'en suis.
Tu vois, mon bien-aime, que nous nous trouvons dans le meme embarras;
supportons-le avec courage, puisque nous ne pourrions sans danger le
faire disparaitre l'un par l'autre.
--Je reconnais bien la les bizarreries de la nature humaine, dit
Edouard en souriant, nous croyons avoir fait merveille, quand nous
sommes, parvenus a ecarter les objets de nos inquietudes. Dans les
considerations d'ensemble, nous sommes capables de grands sacrifices;
mais une abnegation dans les details de chaque instant, est presque
toujours au-dessus de nos forces: ma mere m'a fourni le premier
exemple de cette verite. Tant que j'ai vecu pres d'elle, il lui a ete
impossible de maitriser les craintes de chaque instant dont j'etais
l'objet. Si je rentrais une heure plus tard que je ne l'avais promis,
elle s'imaginait qu'il m'etait arrive quelque grand malheur; et quand
la pluie ou la rosee avait mouille mes vetements, elle prevoyait pour
moi une longue suite de maladies. Je me suis etabli chez moi, j'ai
voyage, et elle a toujours ete aussi tranquille sur mon compte que si
je ne lui avais jamais appartenu.
--Examinons notre position de plus pres, continua-t-il, et nous
reconnaitrons, bientot qu'il serait aussi insense qu'injuste de
laisser, sans autre motif que celui de ne pas deranger
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