notre excellente amie.
--Comment vous a-t-il ete possible de trouver assez de temps pour nous
faire ce plaisir? dit Edouard en riant.
--Je desire que ma visite vous soit en effet agreable; en tout cas,
vous la devez a une observation que je me suis faite a moi-meme ce
matin. J'ai tout recemment retabli l'harmonie dans une famille qu'un
malentendu avait divisee, et j'y ai fort gaiment passe une partie de
la journee d'hier. Ce matin je me suis dit: Tu ne partages jamais
que le bonheur qui est ton ouvrage, c'est de l'egoisme, c'est de
l'orgueil. Rejouis-toi donc aussi avec les amis dont jamais rien n'a
trouble la bonne intelligence. Aussitot dit, aussitot fait, je savais
qu'on venait de celebrer ici une fete de famille, et me voila.
--Je concois, dit Charlotte, qu'une societe bruyante et nombreuse vous
deplaise et vous fatigue; mais j'aime a croire que vous verrez avec
plaisir les amis que nous attendons aujourd'hui. Ils ne vous sont pas
inconnus; je dirai plus, ils ont deja plus d'une fois mis votre esprit
conciliant a l'epreuve; vos efforts ont echoue contre une passion
obstinee ... Enfin, le Comte et la Baronne ne tarderont pas a arriver.
Mittler saisit son chapeau et sa cravache, et s'ecria avec colere:
--Ma mauvaise etoile ne me laissera donc pas un instant de repos!
Aussi, pourquoi suis-je sorti de mon caractere? pourquoi suis-je venu
ici sans y avoir ete appele? J'ai merite d'en etre chasse! Oui, je
suis chasse d'ici par ces gens-la, car je ne resterai pas un seul
instant sous le toit qui les abrite. Prenez garde a vous, ils portent
malheur! Leur presence est un levain qui met tout en fermentation!
Charlotte chercha vainement a le calmer; il continua avec une
vehemence toujours croissante:
--Celui qui par ses paroles ou par ses actions attaque le mariage,
cette base fondamentale de toute societe civilisee, de toute morale
possible, celui-la, dis-je, a affaire a moi! Si je ne puis le
convaincre, le maitriser, je n'ai plus rien a demeler avec lui! Le
mariage est le premier et le dernier echelon de la civilisation; il
adoucit l'homme sauvage et fournit a l'homme civilise des moyens
nobles et grands pour pratiquer les vertus les plus difficiles. Aussi
faut-il qu'il soit indissoluble, car il donne tant de bonheur general
qu'on ne saurait faire attention au malheur individuel. Ce malheur,
au reste, existe-t-il en effet? Non, mille fois non! On cede a
un mouvement d'impatience, on cede a un caprice et on se
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