de coeur,
formaient un tout souvent tres-irregulier, et si agreable, pourtant,
que le compositeur lui-meme n'aurait pu, sans un vif plaisir, entendre
son oeuvre ainsi defiguree et embellie en meme temps.
Apres ce singulier evenement Charlotte et le capitaine se regarderent
en silence, et avec le sentiment qu'on eprouve en voyant des enfants
commettre certaines inconsequences qui peuvent avoir des suites
facheuses. Cependant on n'ose les leur defendre, dans la crainte
de les eclairer sur des dangers qu'ils ignorent, et qu'un hasard
favorable peut faire disparaitre, tandis qu'un avertissement direct
hate souvent la catastrophe que l'on veut prevenir, et a toujours
l'inconvenient de prouver l'existence d'un mal dont il ne faudrait pas
meme supposer la possibilite.
Au reste, en lisant ainsi dans ces coeurs naifs, Charlotte et son ami
furent forces de reconnaitre qu'un penchant semblable les unissait.
Chez eux il etait peut-etre plus dangereux encore, car ils le
prenaient au serieux, et la nature de leur caractere les autorisait a
compter l'un sur l'autre, dans toutes les eventualites possibles.
Des le lendemain, le Capitaine evita de se trouver sur les lieux ou
s'executaient les travaux, a l'heure ou Charlotte avait l'habitude de
s'y rendre. La premiere fois elle attribua son absence au hasard, puis
elle devina son intention, et l'estime, l'admiration se melerent a
l'amour qu'il lui avait inspire malgre lui.
Si le Capitaine evitait Charlotte, il cherchait a se dedommager de
cette privation, en s'occupant plus activement des preparatifs de la
fete dont elle devait etre l'heroine. Sous pretexte de faire tirer
les pierres dont il avait besoin pour la maison, il fit travailler
secretement aux deux routes qui devaient conduire a la montagne en
face du chateau, car il voulait qu'elles fussent pretes pour la veille
de cette fete. La cave de la maison d'ete etait creusee, et une belle
pierre semblait attendre l'instant d'etre posee. Cette activite
mysterieuse, la resolution qu'il avait prise de vaincre son amour, le
rendait silencieux et embarrasse, lorsque le soir il se trouvait pour
ainsi dire seul avec Charlotte, le Baron ne s'occupant que d'Ottilie.
Un soir cependant Edouard s'apercut que sa femme et son ami
ne s'adressaient que des monosyllabes, et a des intervalles
tres-eloignes. Attribuant leur silence a l'ennui, il les engagea
a executer ensemble un morceau de piano et de violon. Il eut ete
difficile de justifier
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