RE II
En rappelant a son mari les principaux evenements de leur passe, et
les plans qu'ils avaient arretes ensemble pour leur bonheur present et
a venir, Charlotte avait eveille en lui des souvenirs fort agreables.
Ce fut sous l'empire de ces souvenirs qu'il entra dans sa chambre pour
repondre au capitaine. Force de convenir que jusqu'a ce moment il
avait trouve dans la societe exclusive de sa femme, l'accomplissement
parfait de ses voeux les plus chers, il se promit d'ecrire a son
ami l'epitre la plus affectueuse et la plus insignifiante du monde.
Lorsqu'il s'approcha de son bureau, le hasard lui fit tomber sous la
main la derniere lettre de cet ami. Il la relut machinalement. La
triste situation de cet homme excellent se presenta de nouveau a sa
pensee, les sentiments douloureux qui l'assiegeaient depuis plusieurs
jours se reveillerent, et il lui parut impossible d'abandonner son ami
a la cruelle position ou il se trouvait reduit; sans se l'etre attiree
par une faute ni meme par une imprudence.
Le Baron n'etait pas accoutume a se refuser une satisfaction
quelconque. Enfant unique de parents fort riches, tout avait
constamment cede a ses caprices et a ses fantaisies. C'etait a force
de les flatter qu'on l'avait decide a devenir le mari d'une vieille
femme, qui avait cherche a son tour a faire oublier son age par des
attentions et des prevenances infinies. Devenu libre par la mort de
cette femme, et maitre d'une grande fortune, naturellement modere dans
ses desirs, liberal, genereux, bienfaisant et brave, il n'avait jamais
connu les obstacles que la societe oppose a la plupart de ses membres.
Jusqu'alors, tout avait marche au gre de ses desirs; une fidelite
opiniatre et romanesque avait fini par lui assurer la main de
Charlotte, et la premiere opposition ouverte qui se posait franchement
devant lui et qui l'empechait d'offrir un asile a l'ami de son
enfance, et de regler ainsi les comptes de toute sa vie, venait de
cette meme Charlotte. Il etait de mauvaise humeur, impatient, il prit
et reprit plusieurs fois la plume, et ne put se mettre d'accord
avec lui-meme sur ce qu'il devait ecrire. Contrarier sa femme, lui
paraissait aussi impossible que de se contrarier lui-meme ou de faire
ce qu'elle desirait; et dans l'agitation ou il se trouvait, il lui
etait impossible d'ecrire une lettre calme. Il etait donc bien naturel
qu'il cherchat a gagner du temps. A cet effet il adressa quelques mots
a son ami, et le pria de lui
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