iege; je me jetai sur mon lit a moitie deshabille, comme
un homme ivre.
Je ne repris possession de moi-meme qu'au premier froid de l'aube. Je
n'avais pas ferme l'oeil. J'avais ete en proie a je ne sais quel delire
de joie et de desespoir. Je me voyais envahi par l'amour, que, jusqu'a
cette heure de ma vie, je n'avais connu qu'en reve, et que l'orgueil un
peu sceptique d'une education recherchee m'avait fait a la fois redouter
et dedaigner. Cette revelation soudaine avait un charme indicible, et je
sentais qu'un homme nouveau, plus energique et plus entreprenant, avait
pris place en moi; mais l'ardeur de cette volonte que j'etais encore si
peu sur de pouvoir assouvir me torturait, et, quand elle se calma, elle
fut suivie d'un grand effroi. Je ne me demandai certes pas si, envahi a
ce point, je n'etais pas perdu; ceci m'importait peu. Je ne me consultai
que sur la marche a suivre pour n'etre pas ridicule, importun et bientot
econduit. Dans ma folie, je raisonnai tres-serre; je me tracai un plan
de conduite. Je compris que je ne devais rien laisser soupconner a
Obernay, vu que son amitie pour Valvedre me le rendrait infailliblement
contraire. Je resolus de gagner sa confiance en paraissant partager ses
preventions contre Alida, et de savoir par lui tout ce que je pouvais
craindre ou esperer d'elle. Rien n'etait plus etranger a mon caractere
que cette perfidie, et, chose etonnante, elle ne me couta nullement. Je
ne m'y etais jamais essaye, j'y fus passe maitre du premier coup. Au
bout de deux heures de promenade matinale avec mon ami, je tenais tout
ce qu'il m'avait marchande jusque-la, je savais tout ce qu'il savait
lui-meme.
II
Sans fortune et sans aieux, Alida avait ete choisie par Valvedre.
L'avait-il aimee? l'aimait-il encore? Personne ne le savait; mais
personne n'etait fonde a croire que l'amour n'eut pas dirige son choix,
puisque Alida n'avait d'autre richesse que sa beaute. Pendant les
premieres annees, ce couple avait ete inseparable. Il est vrai que peu a
peu, depuis cinq ou six ans, Valvedre avait repris sa vie d'exploration
et de voyages, mais sans paraitre delaisser sa compagne et sans cesser
de l'entourer de soins, de luxe, d'egards et de condescendances. Il
etait faux, selon Obernay, qu'il la retint prisonniere dans sa villa, ni
que mademoiselle Juste de Valvedre, l'ainee de ses belles-soeurs, fut
une duegne chargee de l'opprimer. Mademoiselle Juste etait, au
contraire, une personne du plus gra
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