uis un instant sans parler, et legerement trouble,
lorsqu'elle leva lentement ses yeux sur les miens, comme pour me dire:
"Eh bien, vous decidez-vous enfin a voir que je suis la plus parfaite
creature que vous ayez jamais rencontree?" Ce regard de femme fut si
expressif, que je le sentis passer en moi, de la tete aux pieds, comme
un frisson brulant, et que je m'ecriai eperdu:
--Oui, madame, oui!
Elle vit a quel point j'etais jeune et ne s'en offensa point; car elle
me demanda avec un etonnement peu marque a quoi je repondais.
--Pardon, madame, j'ai cru que vous me parliez!
--Mais pas du tout. Je ne vous disais rien!
Et un second regard, plus long et plus penetrant que le premier, acheva
de me bouleverser, car il m'interrogeait jusqu'au fond de l'ame.
A ceux qui n'ont pas rencontre le regard de cette femme, je ne pourrai
jamais faire comprendre quelle etait sa puissance mysterieuse. L'oeil,
extraordinairement long, clair et borde de cils sombres qui le
detachaient du plan de la joue par une ombre changeante, n'etait ni
bleu, ni noir, ni verdatre, ni orange. Il etait tout cela tour a tour,
selon la lumiere qu'il recevait ou selon l'emotion interieure qui le
faisait palir ou briller. Son expression habituelle etait d'une langueur
inouie, et nul n'etait plus impenetrable quand il rentrait son feu pour
le derober a l'examen; mais en laissait-il echapper une faible
etincelle, toutes les angoisses du desir ou toutes les defaillances de
la volupte passaient dans l'ame dont il voulait s'emparer, si bien
gardee ou si mefiante que fut cette ame-la.
La mienne n'etait nullement avertie, et ne songea pas un instant a se
defendre, Elle vit bien celle qui venait de me reduire! Nous n'avions
echange que les trois paroles que je viens de rapporter, et Obernay
s'approchait de nous avec sa fiancee, que tout etait deja consomme dans
ma pensee et dans ma conscience; j'avais rompu avec mes devoirs, avec ma
famille, avec ma destinee, avec moi-meme; j'appartenais aveuglement,
exclusivement, a cette femme, a cette inconnue, a cette magicienne.
Je ne sais rien de ce qui fut dit autour de cette petite table, ou Paule
de Valvedre remuait des tasses en echangeant de calmes repliques avec
Obernay. J'ignore absolument si je bus du the. Je sais que je presentai
une tasse a madame de Valvedre et que je restai pres d'elle, les yeux
attaches sur son bras mince et blanc, n'osant plus regarder son visage,
persuade que je perdrais l'esprit et
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