tu me fais
mourir, que Dieu te juge; mais je t'ai dit la verite."
Ma franchise plut a Pougatcheff.
"Soit, dit-il en me frappant sur l'epaule; il faut punir jusqu'au
bout, ou faire grace jusqu'au bout. Va-t'en des quatre cotes, et
fais ce que bon te semble. Viens demain me dire adieu. Et
maintenant va te coucher; j'ai sommeil moi-meme."
Je quittai Pougatcheff, et sortis dans la rue. La nuit etait calme
et froide; la lune et les etoiles, brillant de tout leur eclat,
eclairaient la place et le gibet. Tout etait tranquille et sombre
dans le reste de la forteresse. Il n'y avait plus que le cabaret
ou se voyait de la lumiere et ou s'entendaient les cris des
buveurs attardes. Je jetai un regard sur la maison du pope; les
portes et les volets etaient fermes; tout y semblait parfaitement
tranquille.
Je rentrai chez moi et trouvai Saveliitch qui deplorait mon
absence. La nouvelle de ma liberte recouvree le combla de joie.
"Graces te soient rendues, Seigneur! dit-il en faisant le signe de
la croix. Nous allons quitter la forteresse demain au point du
jour, et nous irons a la garde de Dieu. Je t'ai prepare quelque
petite chose; mange, mon pere, et dors jusqu'au matin, tranquille
comme dans la poche du Christ...
Je suivis son conseil, et, apres avoir soupe de grand appetit, je
m'endormis sur le plancher tout nu, aussi fatigue d'esprit que de
corps.
CHAPITRE IX
_LA SEPARATION_
De tres bonne heure le tambour me reveilla. Je me rendis sur la
place. La, les troupes de Pougatcheff commencaient a se ranger
autour de la potence ou se trouvaient encore attachees les
victimes de la veille. Les Cosaques se tenaient a cheval; les
soldats de pied, l'arme au bras; les enseignes flottaient.
Plusieurs canons, parmi lesquels je reconnus le notre, etaient
poses sur des affuts de campagne. Tous les habitants s'etaient
reunis au meme endroit, attendant l'usurpateur. Devant le perron
de la maison du commandant, un Cosaque tenait par la bride un
magnifique cheval blanc de race kirghise. Je cherchai des yeux le
corps de la commandante; on l'avait pousse de cote et recouvert
d'une mechante natte d'ecorce. Enfin Pougatcheff sortit de la
maison. Toute la foule se decouvrit. Pougatcheff s'arreta sur le
perron, et dit le bonjour a tout le monde. L'un des chefs lui
presenta un sac rempli de pieces de cuivre, qu'il se mit a jeter a
pleines poignees. Le peuple se precipita pour les ramasser, en se
les disputant avec des coups. Les princip
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