rrogatoire commenca. On me demanda mon nom et mon etat. Le
general s'informa si je n'etais pas le fils d'Andre Petrovitch
Grineff, et, sur ma reponse affirmative, il s'ecria severement:
"C'est bien dommage qu'un homme si honorable ait un fils tellement
indigne de lui!"
Je repondis avec calme que, quelles que fussent les inculpations
qui pesaient sur moi, j'esperais les dissiper sans peine par un
aveu sincere de la verite. Mon assurance lui deplut.
"Tu es un hardi compere, me dit-il en froncant le sourcil; mais
nous en avons vu bien d'autres."
Alors le jeune officier me demanda par quel hasard et a quelle
epoque j'etais entre au service de Pougatcheff, et a quelles
sortes d'affaires il m'avait employe.
Je repondis avec, indignation qu'etant officier et gentilhomme, je
n'avais pu me mettre au service de Pougatcheff, et qu'il ne
m'avait charge d'aucune sorte d'affaires.
"Comment donc s'est-il fait, reprit mon juge, que l'officier et le
gentilhomme ait ete seul gracie par l'usurpateur, pendant que tous
ses camarades etaient lachement assassines? Comment, s'est-il fait
que le meme officier et gentilhomme ait pu vivre en fete et
amicalement avec les rebelles, et recevoir du scelerat en chef des
cadeaux consistant en une pelisse, un cheval et un demi-rouble?
D'ou provient une si etrange intimite? et sur quoi peut-elle etre
fondee, si ce n'est sur la trahison, ou tout au moins sur une
lachete criminelle et impardonnable?"
Les paroles de l'officier aux gardes me blesserent profondement,
et je commencai avec chaleur ma justification. Je racontai comment
s'etait faite ma connaissance avec Pougatcheff, dans la steppe, au
milieu d'un ouragan; comment il m'avait reconnu et fait grace a la
prise de la forteresse de Belogorsk. Je convins qu'en effet
j'avais accepte de l'usurpateur un _touloup_ et un cheval; mais
j'avais defendu la forteresse de Belogorsk contre le scelerat
jusqu'a la derniere extremite. Enfin, j'invoquai le nom de mon
general, qui pouvait temoigner de mon zele pendant le siege
desastreux d'Orenbourg.
Le severe vieillard prit sur la table une lettre ouverte qu'il se
mit a lire a haute voix:
"En reponse a la question de Votre Excellence, sur le compte de
l'enseigne Grineff, qui se serait mele aux troubles et serait
entre en relations avec le brigand, relations reprouvees par la
loi du service et contraires a tous les devoirs du serment, j'ai
l'honneur, de declarer que ledit enseigne Grineff s'est trou
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