Marie.
-- Comment! ce n'est pas vrai? repliqua la dame qui rougit
jusqu'aux yeux.
-- Ce n'est pas vrai, devant Dieu, ce n'est pas vrai. Je sais
tout, je vous conterai tout; c'est pour moi seule qu'il s'est
expose a tous les malheurs qui l'ont frappe. Et s'il ne s'est pas
disculpe devant la justice, c'est parce qu'il n'a pas voulu que je
fusse melee a cette affaire."
Et Marie raconta avec chaleur tout ce que le lecteur sait deja.
La dame l'ecoutait avec une attention profonde.
"Ou vous etes-vous logee?" demanda-t-elle quand la jeune fille eut
termine son recit.
Et en apprenant que c'etait chez Anna Vlassievna, elle ajouta avec
un sourire:
"Ah! je sais. Adieu; ne parlez a personne de notre rencontre.
J'espere que vous n'attendrez pas longtemps la reponse a votre
lettre."
A ces mots elle se leva et s'eloigna par une allee couverte. Marie
Ivanovna retourna chez elle remplie d'une riante esperance.
Son hotesse la gronda de sa promenade matinale, nuisible, disait-
elle, pendant l'automne, a la sante d'une jeune fille. Elle
apporta le _samovar_, et, devant, une tasse de the, elle allait
reprendre ses interminables propos sur la cour, lorsqu'une voiture
armoriee s'arreta devant le perron. Un laquais a la livree
imperiale entra dans la chambre, annoncant que l'imperatrice
daignait mander en sa presence la fille du capitaine Mironoff.
Anna Vlassievna fut toute bouleversee par cette nouvelle.
"Ah! Mon Dieu, s'ecria-t-elle, l'imperatrice vous demande a la
cour. Comment donc a-t-elle su votre arrivee? et comment vous
presenterez-vous a l'imperatrice, ma petite mere? Je crois que
vous ne savez meme pas marcher a la mode de la cour. Je devrais
vous conduire; ou ne faudrait-il pas envoyer chercher la fripiere,
pour qu'elle vous pretat sa robe jaune a falbalas?"
Mais le laquais declara que l'imperatrice voulait que Marie
Ivanovna vint seule et dans le costume ou on la trouverait. Il n'y
avait qu'a obeir, et Marie Ivanovna partit.
Elle pressentait que notre destinee allait s'accomplir; son coeur
battait avec violence. Au bout de quelques instants le carrosse
s'arreta devant le palais, et Marie, apres avoir traverse une
longue suite d'appartements vides et somptueux, fut enfin
introduite dans le boudoir de l'imperatrice. Quelques seigneurs,
qui entouraient leur souveraine, ouvrirent respectueusement
passage a la jeune fille. L'imperatrice, dans laquelle Marie
reconnut la dame du jardin, lui dit gracieuseme
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