habitude d'un "et" initial, balancant pesamment ses
mots, qui roulent et qui tanguent comme un navire prenant le large,
pousse d'un seul jet un flux de phrases coherentes:
"Trois fois par lune, ils faisaient monter leur lit sur la haute
terrasse bordant le mur de la cour; et d'en bas on les apercevait dans
les airs sans cothurnes et sans manteaux, avec les diamants de leurs
doigts qui se promenaient sur les viandes, et leurs grandes boucles
d'oreilles qui se penchaient entre les buires, tous forts et gras, a
moitie nus, heureux, riant et mangeant en plein azur, comme de gros
requins qui s'ebattent dans l'onde."
Et cette autre periode, dans un ton mineur "Maintenant, il
l'accompagnait a la messe, il faisait le soir sa partie d'imperiale, il
s'accoutumait a la province, s'y enfoncait;--et meme son amour avait
pris comme une douceur funebre, un charme assoupissant. A force d'avoir
verse sa douleur dans ses lettres, de l'avoir melee a ses lectures,
promenee dans la campagne et partout epandue, il l'avait presque tarie;
si bien que Mme Arnoux etait pour lui comme une morte dont il s'etonnait
de ne pas connaitre le tombeau, tant cette affection etait devenue
tranquille et resignee."
En cette forme de style Flaubert s'exprime dans ses romans, quand
apparait une scene ou un personnage qui l'emeuvent; dans _Salammbo_ et
la _Tentation_, quand l'exaltation lyrique succede au recit.
Ces deux sortes de periodes s'unissent enfin en paragraphes selon
certaines lois rhythmiques; car la prose de Flaubert est belle de la
beaute et de la justesse des mots, de leur tenace liaison, du net eclat
des images; mais elle charme encore la voix et l'oreille par l'harmonie
qui resulte du savant dosage des temps forts et des faibles.
Constitue comme une symphonie d'un _allegro_, d'un _andante_ et d'un
_presto_, le paragraphe type de Flaubert est construit d'une serie de
courtes phrases statiques, d'allure contenue, ou les syllabes accentuees
egalent les muettes; d'une phrase plus longue qui, grace d'habitude a
une enumeration, devient comprehensible et chantante, se traine un peu
en des temps faibles plus nombreux; enfin retentit la periode terminale
dans laquelle une image grandiose est proferee en termes sonores que
rythment fortement des accents serres. Ainsi qu'on scande a haute voix,
ce passage:
"Ou donc vas-tu? Pourquoi changer tes formes perpetuellement? Tantot
mince et recourbee tu glisses dans les espaces comme une galere sans
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