millions a Calpurnie et
trente ou quarante millions a Octave; systeme Morgan toujours, a
l'exception que Morgan, j'en suis sur, mourra sans avoir touche
pour son compte ni a l'argent des Gaulois, ni a l'or du Capitole.
Maintenant, sautons dix-huit cents ans et arrivons au general
_Buonaparte_...
Et le jeune aristocrate, comme avaient l'habitude de le faire les
ennemis du vainqueur de l'Italie, affecta d'appuyer sur l'u, que
Bonaparte avait retranche de son nom, et sur l'e dont il avait
enleve l'accent aigu.
Cette affectation parut irriter vivement Roland, qui fit un
mouvement comme pour s'elancer en avant; mais son compagnon
l'arreta.
-- Laissez, dit-il, laissez, Roland; je suis bien sur que le
citoyen Barjols ne dira pas que le general _Buonaparte_, comme il
l'appelle, est un voleur.
-- Non, je ne le dirai pas, moi; mais il y a un proverbe italien
qui le dit pour moi.
-- Voyons le proverbe? demanda le general se substituant a son
compagnon, et, cette fois, fixant sur le jeune noble son oeil
limpide, calme et profond.
-- Le voici dans toute sa simplicite: _"Francesi non sono tutti
ladroni, ma buona, parte." _Ce qui veut dire: "Tous les Francais
ne sont pas des voleurs, mais..."
-- Une bonne partie? dit Roland.
-- Oui, mais _Buonaparte_, repondit Alfred de Barjols.
A peine l'insolente parole etait-elle sortie de la bouche du jeune
aristocrate, que l'assiette avec laquelle jouait Roland s'etait
echappee de ses mains et l'allait frapper en plein visage.
Les femmes jeterent un cri, les hommes se leverent.
Roland eclata de ce rire nerveux qui lui etait habituel et retomba
sur sa chaise.
Le jeune aristocrate resta calme, quoiqu'une rigole de sang coulat
de son sourcil sur sa joue.
En ce moment, le conducteur entra, disant, selon la formule
habituelle:
-- Allons, citoyens voyageurs, en voiture!
Les voyageurs, presses de s'eloigner du theatre de la rixe a
laquelle ils venaient d'assister, se precipiterent vers la porte.
-- Pardon, monsieur, dit Alfred de Barjols a Roland, vous n'etes
pas de la diligence, j'espere?
-- Non, monsieur, je suis de la chaise de poste; mais, soyez
tranquille, je ne pars pas.
-- Ni moi, dit l'Anglais; detelez les chevaux, je reste.
-- Moi, je pars, dit avec un soupir le jeune homme brun, auquel
Roland avait donne le titre de general; tu sais qu'il le faut, mon
ami, et que ma presence est absolument necessaire la-bas. Mais je
te jure bien que je ne te quit
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