eiller. La Vierge et ses chastes mysteres etaient pour moi
sans consolation et sans poesie. Je n'avais nul besoin des protections
celestes: les dangers n'etaient pas faits pour moi, et je me meprisais
pour ce dont j'eusse du me glorifier.
Car il faut vous dire que je m'en prenais a moi autant qu'aux autres
quand je trouvais en moi cette volonte de ne pas aimer degeneree en
impuissance. J'avais souvent confie aux femmes qui me pressaient de
faire choix d'un mari ou d'un amant l'eloignement que m'inspiraient
l'ingratitude, l'egoisme et la brutalite des hommes. Elles me riaient au
nez quand je parlais ainsi, m'assurant que tous n'etaient pas semblables
a mon vieux mari, et qu'ils avaient des secrets pour se faire pardonner
leurs defauts et leurs vices. Cette maniere de raisonner me revoltait;
j'etais humiliee d'etre femme en entendant d'autres femmes exprimer des
sentiments aussi grossiers, et rire comme des folles quand l'indignation
me montait au visage. Je m'imaginais un instant valoir mieux qu'elles
toutes.
Et puis je retombais avec douleur sur moi-meme; l'ennui me rongeait. La
vie des autres etait remplie, la mienne etait vide et oisive. Alors je
m'accusais de folie et d'ambition demesuree; je me mettais a croire tout
ce que m'avaient dit ces femmes rieuses et philosophes, qui prenaient si
bien leur siecle comme il etait. Je me disais que l'ignorance m'avait
perdue, que je m'etais forge des esperances chimeriques, que j'avais
reve des hommes loyaux et parfaits qui n'etaient point de ce monde. En
un mot, je m'accusais de tous les torts qu'on avait eus envers moi.
Tant que les femmes espererent me voir bientot convertie a leurs maximes
et a ce qu'elles appelaient leur sagesse, elles me supporterent. Il y
en avait meme plus d'une qui fondait sur moi un grand espoir de
justification pour elle-meme, plus d'une qui avait passe des temoignages
exageres d'une vertu farouche a une conduite eventee, et qui se flattait
de me voir donner au monde l'exemple d'une legerete capable d'excuser la
sienne.
Mais quand elles virent que cela ne se realisait point, que j'avais deja
vingt ans et que j'etais incorruptible, elles me prirent en horreur;
elles pretendirent que j'etais leur critique incarnee et vivante; elles
me tournerent en ridicule avec leurs amants, et ma conquete fut l'objet
des plus outrageants projets et des plus immorales entreprises. Des
femmes d'un haut rang dans le monde ne rougirent point de tramer en
riant d'
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