a un autre homme apres vous avoir resiste. Cet effort ne me sera
pas difficile, et vous pouvez me croire."
Lelio se prosterna devant moi; il ne m'implora point, il ne me fit point
de reproches; il me dit qu'il n'avait pas espere tout le bonheur que je
lui avais donne, et qu'il n'avait pas le droit d'en exiger davantage.
Cependant, en recevant ses adieux, son abattement et l'emotion de sa
voix m'effrayerent. Je lui demandai s'il ne penserait pas a moi avec
bonheur, si les extases de cette nuit ne repandraient pas leurs charmes
sur tous ses jours, si ses peines passees et futures n'en seraient pas
adoucies chaque fois qu'il l'invoquerait. Il se ranima pour jurer et
promettre tout ce que je voulus. Il tomba de nouveau a mes pieds, et
baisa ma robe avec emportement. Je sentis que je chancelais; je lui fis
un signe, et il s'eloigna. La voiture que j'avais fait demander arriva.
L'intendant automate de ce sejour clandestin frappa trois coups en
dehors pour m'avertir. Lelio se jeta devant la porte avec desespoir; il
avait l'air d'un spectre. Je le repoussai doucement, et il ceda. Alors
je franchis la porte, et, comme il voulait me suivre, je lui montrai une
chaise au milieu du salon, au dessous de la statue d'Isis. Il s'y assit.
Un sourire passionne erra sur ses levres, ses yeux firent jaillir un
dernier eclair de reconnaissance et d'amour. Il etait encore beau,
encore jeune, encore grand d'Espagne. Au bout de quelques pas, et au
moment de le perdre pour jamais, je me retournai et jetai sur lui un
dernier regard. Le desespoir l'avait brise. Il etait redevenu vieux,
decompose, effrayant. Son corps semblait paralyse. Sa levre contractee
essayait un sourire egare. Son oeil etait vitreux et terne: ce n'etait
plus que Lelio, l'ombre d'un amant et d'un prince."
La marquise fit une pause; puis, avec un sourire sombre et en se
decomposant elle-meme comme une ruine qui s'ecroule, elle reprit:
"Depuis ce moment je n'ai pas entendu parler de lui."
La marquise fit une nouvelle pause plus longue que la premiere; mais
avec cette terrible force d'ame que donnent l'effet des longues annees,
l'amour obstine de la vie ou l'espoir prochain de la mort, elle redevint
gaie, et me dit en souriant: "Eh-bien! croirez-vous desormais a la vertu
du dix-huitieme siecle?
--Madame, lui repondis-je, je n'ai point envie d'en douter; cependant,
si j'etais moins attendri, je vous dirais peut-etre que vous futes
tres-bien avisee de vous faire saigner ce j
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