e, ne songeant
point a avaler le vin chaud epice que j'avais demande pour me donner un
air cavalier. Quand je m'apercus du lieu ou j'etais et des regards qui
s'attachaient sur moi, la peur me prit; c'etait la premiere fois de
ma vie que je me trouvais dans une situation si equivoque et dans un
contact si direct avec des gens de cette classe; depuis, l'emigration
m'a bien aguerrie a ces inconvenances de position.
Je me levai et j'essayai de fuir, mais j'oubliai de payer. Le garcon
courut apres moi. J'eus une honte effroyable; il fallut rentrer,
m'expliquer au comptoir, soutenir tous les regards mefiants et moqueurs
diriges sur moi. Quand je fus sortie, il me sembla qu'on me suivait. Je
cherchai vainement un fiacre pour m'y jeter, il n'y en avait plus devant
la Comedie; Des pas lourds se faisaient entendre toujours sur les miens.
Je me retournai en tremblant; je vis un grand escogriffe que j'avais
remarque dans un coin du cafe, et qui avait bien l'air d'un mouchard ou
de quelque chose de pis. Il me parla; je ne sais pas ce qu'il me dit,
la frayeur m'otait l'intelligence; cependant j'eus assez de presence
d'esprit pour m'en debarrasser. Transformee tout d'un coup en heroine
par ce courage que donne la peur, je lui allongeai rapidement un coup de
canne dans la figure, et, jetant aussitot la canne pour mieux courir,
tandis qu'il restait etourdi de mon audace, je pris ma course, legere
comme un trait, et ne m'arretai que chez Florence. Quand je m'eveillai
le lendemain a midi dans mon lit a rideaux ouates et a chapiteaux de
plumes roses, je crus avoir fait un reve, et j'eprouvai de ma deception
et de mon aventure de la veille une grande mortification. Je me crus
serieusement guerie de mon amour, et j'essayai de m'en feliciter; mais
ce fut en vain. J'en eprouvais un regret mortel; l'ennui retombait sur
ma vie, tout se desenchantait. Ce jour-la je mis Larrieux a la porte.
Le soir arriva et ne m'apporta plus ces agitations bienfaisantes des
autres soirs. Le monde me sembla insipide. J'allai a l'eglise; j'ecoutai
la conference, resolue a me faire devote; je m'y enrhumai: j'en revins
malade.
Je gardai le lit plusieurs jours. La comtesse de Ferrieres vint me voir,
m'assura que je n'avais point de fievre, que le lit me rendait malade,
qu'il fallait me distraire, sortir, aller a la Comedie. Je crois qu'elle
avait des vues sur Larrieux, et qu'elle voulait ma mort.
Il en arriva autrement; elle me forca d'aller avec elle voir joue
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