dans ce temps-la! et un homme
de trente-cinq ans, un comedien!
N'importe: il me sembla, il me semble encore qu'il etait dans toute la
fraicheur de l'adolescence. Sous ces blancs habits, il ressemblait a
un jeune page; son front avait toute la purete, son coeur agite toute
l'ardeur d'un premier amour. Il prit mes mains et les couvrit de baisers
devorants. Alors je devins folle; j'attirai sa tete sur mes genoux; je
caressai son front brulant, ses cheveux rudes et noirs, son cou brun,
qui se perdait dans la molle blancheur de sa collerette, et Lelio ne
s'enhardit point. Tous ses transports se concentrerent dans son coeur;
il se mit a pleurer comme une femme. Je fus inondee de ses sanglots.
Oh! je vous avoue que j'y melai les miens avec delices. Je le forcai de
relever sa tete et de me regarder. Qu'il etait beau, grand Dieu! Que ses
yeux avaient d'eclat et de tendresse! Que son ame vraie et chaleureuse
pretait de charmes aux defauts meme de sa figure et aux outrages des
veilles et des annees! Oh! la puissance de l'ame! qui n'a pas compris
ses miracles n'a jamais aime! En voyant des rides prematurees a son beau
front, de la langueur a son sourire, de la paleur a ses levres, j'etais
attendrie; j'avais besoin de pleurer sur les chagrins, les degouts et
les travaux de sa vie. Je m'identifiais a toutes ses peines, meme a
celles de son long amour sans espoir pour moi, et je n'avais plus qu'une
volonte, celle de reparer le mal qu'il avait souffert.
"Mon cher Lelio, mon grand Rodrigue, mon beau don Juan! lui disais-je
dans mon egarement." Ses regards me brulaient. Il me parla, il me
raconta toutes les phases, tous les progres de son amour; il me dit
comment, d'un histrion aux moeurs relachees, j'avais fait de lui un
homme ardent et vivace, comme je l'avais eleve a ses propres yeux, comme
je lui avais rendu le courage et les illusions de la jeunesse; il me
dit son respect, sa veneration pour moi, son mepris pour les sottes
forfanteries de l'amour a la mode; il me dit qu'il donnerait tous les
jours qui lui restaient a vivre pour une heure passee dans mes bras,
mais qu'il sacrifierait cette heure-la et tous les jours a la crainte de
m'offenser. Jamais eloquence plus penetrante n'entraina le coeur
d'une femme; jamais le tendre Racine ne fit parler l'amour avec cette
conviction, cette poesie et cette force. Tout ce que la passion peut
inspirer de delicat et de grave, de suave et d'impetueux, ses paroles,
sa voix, ses yeux, ses car
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