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ces. Moi, je croyais plutot que cet homme avait par instants une puissance surnaturelle, et que ses plus amers contempteurs se sentaient entraines a le faire triompher malgre eux. En verite, dans ces moments-la la salle de la Comedie-Francaise semblait frappee de delire, et en sortant on se regardait tout etonne d'avoir applaudi Lelio. Pour moi, je me livrais alors a mon emotion; je criais, je pleurais, je le nommais avec passion, je l'appelais avec folie; ma faible voix se perdait heureusement dans le grand orage qui eclatait autour de moi. D'autres fois on le sifflait dans des situations ou il me semblait sublime, et je quittais le spectacle avec rage. Ces jours-la etaient les plus dangereux pour moi. J'etais violemment tentee d'aller le trouver, de pleurer avec lui, de maudire le siecle et de le consoler en lui offrant mon enthousiasme et mon amour. Un soir que je sortais par le passage derobe ou j'etais admise, je vis passer rapidement devant moi un homme petit et maigre qui se dirigeait vers la rue. Un machiniste lui ota son chapeau en lui disant: "Bonsoir, monsieur Lelio." Aussitot, avide de regarder de pres cet homme extraordinaire, je m'elance sur ses traces, je traverse la rue, et sans me soucier du danger auquel je m'expose, j'entre avec lui dans un cafe. Heureusement c'etait un cafe borgne, ou je ne devais rencontrer aucune personne de mon rang. Quand, a la clarte d'un mauvais lustre enfume, j'eus jete les yeux sur Lelio, je crus m'etre trompee et avoir suivi un autre que lui. Il avait au moins trente-cinq ans: il etait jaune, fletri, use; il etait mal mis; il avait l'air commun; il parlait d'une voix rauque et eteinte, donnait la main a des pleutres, avalait de l'eau-de-vie et jurait horriblement. Il me fallut entendre prononcer plusieurs fois son nom pour m'assurer que c'etait bien la le dieu du theatre et l'interprete du grand Corneille. Je ne retrouvais plus rien en lui des charmes qui m'avaient fascinee, pas meme son regard si noble, si ardent et si triste. Son oeil etait morne, eteint, presque stupide; sa prononciation accentuee devenait ignoble en s'adressant au garcon de cafe, en parlant de jeu, de cabaret et de filles. Sa demarche etait lache, sa tournure sale, ses joues mal essuyees de fard. Ce n'etait plus Hippolyte, c'etait Lelio. Le temple etait vide et pauvre; l'oracle etait muet; le dieu s'etait fait homme; pas meme homme, comedien. Il sortit, et je restai longtemps stupefaite a ma plac
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