lle venue?
-- Je crois que oui.
-- Malgre Plutarque?
-- Monsieur le comte, dit en riant La Mole, Plutarque dit dans un
autre endroit: "Qu'il faut que celui qui a partage avec celui qui
n'a pas." Voulez-vous, pour l'amour de Plutarque, partager votre
omelette avec moi, nous causerons de la vertu en mangeant?
-- Oh! ma foi, non, dit Coconnas; c'est bon quand on est au
Louvre, qu'on craint d'etre ecoute et qu'on a l'estomac vide.
Mettez-vous la, et soupons.
-- Allons, je vois que decidement le sort nous a faits
inseparables. Couchez-vous ici?
-- Je n'en sais rien.
-- Ni moi non plus.
-- En tout cas je sais bien ou je passerai la nuit, moi.
-- Ou cela?
-- Ou vous la passerez vous-meme, c'est immanquable.
Et tous deux se mirent a rire, en faisant de leur mieux honneur a
l'omelette de maitre La Huriere.
VI
La dette payee
Maintenant, si le lecteur est curieux de savoir pourquoi M. de La
Mole n'avait pas ete recu par le roi de Navarre, pourquoi
M. de Coconnas n'avait pu voir M. de Guise, et enfin pourquoi tous
deux, au lieu de souper au Louvre avec des faisans, des perdrix et
du chevreuil, soupaient a l'hotel de la Belle-Etoile avec une
omelette au lard, il faut qu'il ait la complaisance de rentrer
avec nous au vieux palais des rois et de suivre la reine
Marguerite de Navarre que La Mole avait perdue de vue a l'entree
de la grande galerie.
Tandis que Marguerite descendait cet escalier, le duc Henri de
Guise, qu'elle n'avait pas revu depuis la nuit de ses noces, etait
dans le cabinet du roi. A cet escalier que descendait Marguerite,
il y avait une issue. A ce cabinet ou etait M. de Guise, il y
avait une porte. Or, cette porte et cette issue conduisaient
toutes deux a un corridor, lequel corridor conduisait lui-meme aux
appartements de la reine mere Catherine de Medicis.
Catherine de Medicis etait seule, assise pres d'une table, le
coude appuye sur un livre d'heures entr'ouvert, et la tete posee
sur sa main encore remarquablement belle, grace au cosmetique que
lui fournissait le Florentin Rene, qui reunissait la double charge
de parfumeur et d'empoisonneur de la reine mere.
La veuve de Henri II etait vetue de ce deuil qu'elle n'avait point
quitte depuis la mort de son mari. C'etait a cette epoque une
femme de cinquante-deux a cinquante-trois ans a peu pres, qui
conservait, grace a son embonpoint plein de fraicheur, les traits
de sa premiere beaute. Son appartement, comme son costume,
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