l'ecrire, a te livrer mon coeur tout plein de toi.
Et pourquoi ne le ferais-je pas?
Tu vis, mon fils aime; je suis trop imparfait pour savoir, quelle est la
forme que tu as revetue, quel est le milieu ou tu te developpes, mais
je crois a ta vie loin de nous aussi fermement que je croyais a ta vie
quand j'avais le bonheur de te presser dans mes bras et d'entendre la
voix si douce a mes oreilles et a mon coeur.
Je crois a ta vie actuelle comme je croyais, comme je crois encore a ton
amour. Je t'ai vu expirer dans nos bras, j'ai contemple ton beau visage
glace par la mort, j'ai entendu la terre tomber, par lourdes pelletees,
sur le cercueil qui renfermait ta depouille mortelle; mes yeux se
remplissent de larmes, mon coeur se dechire a ces cruels souvenirs,
et cependant je ne crois pas a la mort! Je te sens vivant d'une vie
superieure a la mienne, mon Prosper, et quand sonnera ma derniere heure,
je me consolerai de quitter ceux que nous avons aimes ensemble, en
pensant que je vais te retrouver et te rejoindre.
Je sais que cette consolation ne me viendra pas sans efforts, je sais
qu'il faudra la conquerir en travaillant courageusement a ma propre
amelioration comme a celle des autres; je ferai du moins tout ce
qu'il sera en mon pouvoir de faire pour meriter la recompense que
j'ambitionne: te retrouver.
Ton souvenir est le phare qui nous guide et le point d'appui qui nous
soutient. A travers les tenebres qui nous enveloppent, nous apercevons
un point lumineux vers lequel nous marchons resolument; ce point est
celui ou tu vis, mon fils, aupres de tous ceux que j'ai aimes ici-bas et
qui sont partis avant moi pour leur vie nouvelle: mon pere, ma mere, ma
soeur, Moise Retouret, Delaury, Prosper Enfantin, Moroche, Jal, Charles
Ferrand, Gustave Suchet, et tant d'autres, helas!
Te rappelles-tu encore, ami, nos conversations inepuisables sur ces
graves sujets, assis tous deux dans ta chambre de Mont-Riant: Dieu, la
mort, la vie eternelle, la liberte humaine, etc.? Maintenant ton ame,
degagee des liens materiels si lourds et si compacts sur ce petit globe,
entrevoit ces grands problemes d'un point de vue plus haut. Tu sais ou
tu le prepares a savoir ce que j'ignore; tu apercois des clartes que je
ne soupconne meme pas. Mais ma foi reste ardente et entiere, telle que
tu l'as connue! mon bien-aime Prosper. Ce n'est pas sous la terre ou
j'ai depose tes restes que je te cherche, doux tresor de mon coeur, fils
qui as ete mon or
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