urez, ma belle,
Mes maux sont trop payes.
Passy, Aout 1860.
DANS LA FORET
Bois ou l'Automne se courrouce,
Et, dans les sentiers gracieux
Etend sa rouille sur la mousse!
Brises dont la plainte est si douce
Qu'elle semble venir des cieux!
Sombres ecueils! roches antiques!
Vous qui bravez les oceans!
Vous que les vagues atlantiques
Ont, dans leurs fureurs fantastiques,
Decoupes en profils geants!
Et vous, cieux ou l'aube etincelle,
A l'heure ou la lune s'endort,
Dites-moi s'il est, brune ou blonde,
Une belle plus belle au monde
Que ma maitresse aux cheveux d'or?
Etretat, Decembre 1860.
MESSAGE
Allez vers elle, fleurs cheries,
Allez, et ne trahissez pas
Ces mots que dans mes reveries
Ma bouche dit tout bas.
Ne lui dites pas, indiscretes,
Combien de desirs insenses
Cachent sous mes regards glaces
Leurs flammes inquietes.
Ne lui dites pas qu'en tous lieux
Mon coeur la suit a tire-d'aile,
Que les rayons de ses grands yeux
Me font fremir pres d'elle;
Cachez-lui qu'un mot de sa voix
Trouble mon oreille ravie,
Et que je donnerais ma vie
Pour mourir sous ses lois.
Qu'elle ignore, la grande dame,
Que je l'aime au point d'en mourir,
Quand ma bouche, etouffant mon ame,
Froidement sait mentir;
Lorsque dans sa chambre ou, sans cause,
Je deviens timide et tremblant,
Tous deux, d'un ton indifferent,
Nous parlons d'autre chose.
Quand elle fait, par ses accents,
Sur la scene ou chacun l'admire,
Haleter la foule en suspens
Par son divin sourire,
Dans un coin, pensif, inconnu,
Qu'elle ignore, la grande artiste,
Combien celui-la seul est triste
Qu'un beau reve a perdu!
Ne lui dites pas que je l'aime,
Ni combien il m'en a coute
Pour comprimer mon coeur blesse
Qui criait en moi-meme!
Ne lui dites pas que je meurs
Et que c'est elle qui me tue,
N'ayant pas soupconne mes pleurs
Dans mon ame eperdue.
Pourquoi faut-il l'avoir connue,
Puisque j'en devais tant souffrir?
N'eut-il pas mieux valu mourir
Avant de l'avoir vue?
Maudit soit le jour ou mes yeux
Ont vu ces traits si pleins de charmes,
Puisqu'inutiles sont mes voeux
Et vaines mes alarmes!
Gardez bien mon triste secret;
Si vous lui parliez de ma peine,
Qui sait, avec son air de reine,
Ce qu'elle en penserait?
Paris, Janvier 1860.
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