e aupres de ma fenetre a lire ou a rever, je veux
faire un tour de parc pour profiter d'un rayon de soleil, je suis brisee
en rentrant comme si j'avais ete battue. Que se passe-t-il en moi? Je
ne puis le comprendre. Et puis, je n'ose pas, j'ai peur de le deviner.
Pourquoi? Du reste, je ne sais pourquoi je vous parle de toutes ces
folies qui sont capables de vous attrister, et dont la seule pensee me
trouble et me tourmente moi-meme.
Parlons de vous, ma Cecile bien-aimee, de vous qui souffrez aussi, et
qui etes contrainte de cacher votre peine. Combien je vous plains, mon
amie, et qu'il doit vous en couter de garder, pour le monde indifferent
qui vous entoure, le masque de bonheur sous lequel vous languissez! Et
encore, vous etes meilleure que moi, car votre lettre etait pleine de
tendresse et de gais souvenirs. Tandis que moi, au contraire, je ne
sais que vous affliger chaque fois que je vous ecris. Mais vous me
le pardonnerez, n'est-ce pas, Cecile? car il faut me traiter avec
l'indulgence qu'on a pour une enfant malade. Si je suis aussi triste,
c'est qu'il m'est impossible de lutter contre la langueur qui me tue,
voyez-vous!
Mon medecin n'ose plus se fier a lui seul, et il a fait venir ici deux
docteurs celebres de Paris. Tous trois n'osent presque plus me cacher
l'etat dans lequel je me trouve. Ils ne m'ont rien dit, mais je vois
bien sur leur visage, lorsqu'ils se consultent devant moi, que ce n'est
plus qu'une affaire de temps. C'est fini! je puis encore trainer pendant
quatre ou cinq mois peut-etre, mais je n'irai pas plus loin.
Je suis entouree ici de bonnes gens qui passent leur vie a s'efforcer de
m'epargner toute espece de contrarietes. Mais il me semble, en voyant
leurs visages silencieux et mornes, qu'ils sont tous prevenus, et je
crois lire ma condamnation sur chaque figure que je rencontre.
Je suis obsedee par une foule d'idees penibles, de visions etranges,
inexplicables.
J'ai fait, pendant une nuit de la semaine derniere, un horrible reve
dont le souvenir me pese depuis ce moment et me poursuit sans relache.
J'etais assise avec Justine dans le bois qui se trouve derriere la
maison. Nous parlions de Paris, de vous, qui deviez arriver ici le jour
meme pour passer une semaine aupres de moi. J'etais guerie ou a peu
pres, et je comptais m'en retourner avec vous. Tout d'un coup je vis
les arbres qui nous entouraient glisser sur la terre, comme si une main
puissante les avait repousses et je me trouv
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