e ne pouvais plus me relever, ni crier. La neige qui tombait avec force
me cachait tout. Je n'apercevais plus ni vous, ni lui, ni le spectre.
J'etais seule, seule, entendez-vous bien? Je ne voyais que la blancheur
opaque des arbres couverts de neige. Et mon sang coulait sans cesse,
et ma tombe se creusait rapidement, et moi je descendais toujours, a
genoux, les mains jointes, folle de terreur et brisee par mon desespoir.
Je sentais le froid de la neige qui couvrait mes epaules et qui montait
autour de moi comme pour m'ensevelir avant meme que ma fosse fut
achevee. J'etouffais.
Quand je me reveillai en sursaut, c'etait le matin. Justine, qui m'avait
entendue me plaindre, etait aupres de mon lit.
Lorsqu'elle ouvrit mes persiennes, il neigeait. C'etait la premiere fois
de cette annee. Vous ne pouvez vous figurer l'impression que cela me
produisit.
Je suis encore tremblante en vous racontant cette douloureuse et
inexplicable crise. Et j'aurais mieux fait de ne vous en point parler.
Excusez-moi encore, mon amie, chere Cecile de mon ame.
Pardon de la tristesse que je vais vous causer encore. Mais j'ai besoin,
malgre moi, de parler de ce reve. Dites-moi qu'il est faux, dites-moi
qu'il ne signifie rien, je vous en conjure. J'ai beau me le repeter,
moi, il me poursuit sans cesse.
Vous le savez, je n'ai jamais aime. Je ne puis aimer, aujourd'hui. C'est
impossible, cela n'est pas. N'est-ce pas, ma Cecile adoree?
Et cependant, d'ou vient alors qu'en voyant approcher le moment de ma
mort, je regrette davantage l'existence, et que je voudrais pouvoir
me cramponner a la vie? Il me semble que je pourrais etre heureuse.
J'entrevois des joies qui ne m'etaient jamais apparues aussi douces et
aussi seduisantes.
Que veut dire tout cela? J'ai peur d'etre folle, par moments.
Ecrivez-moi encore, Cecile, je vous en supplie. Qu'il me soit donne
d'entendre encore une voix amie et aimee avant de quitter ce monde ou je
souffre, et que je pleure en le quittant.
Pensez a moi, aimez-moi, vous, ma Cecile que j'aime, et songez que je
n'ai que votre amitie au monde.
Votre MARIE.
Aveny, Novembre 1854.
Nous ne possedons que ces fragments,--nous n'osons dire d'un roman ou
d'un livre,--car l'auteur ne songeait probablement guere, en ecrivant
ces pages, a faire un livre ou un roman. Nous y verrions plus volontiers
une sorte d'autobiographie transposee, un cadre dans lequel il aurait
groupe ses propres impressions, fait raconte
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