es. Que
voulez-vous? je cherche dans les plaisirs de mon luxe l'oubli de ce qui
manque a mon ame.
Et voila que, moi qui vous ecrivais pour tacher de vous egayer un peu,
je suis triste comme un gros bonnet de nuit qui s'aviserait de parler.
Voila ce que c'est que d'ecrire a sa meilleure amie d'aussi vilaines
lettres que la votre. On lui fait perdre la moitie de sa pauvre gaiete,
et elle devient incapable de vous rendre le courage qu'elle n'a plus
elle-meme. Ainsi, vous voila prevenue.
Pour cette fois-ci je vous pardonne, parce que l'on peut etre plus
triste ou plus mal disposee un jour que les autres. Cela depend un peu
du temps qu'il fait. Et puis, a la campagne ... et a la campagne en
province, surtout! Mais cela est une raison de plus pour que vous
rentriez bien vite a Paris, ou l'on ne peut plus se passer de vous.
Voila, Mariette de mon coeur, chere aimee, ce qu'il faudra m'annoncer
dans votre prochaine lettre.
Vous me le promettez, n'est-ce pas? a moi, votre meilleure amie, qui
vous aime et qui vous regrette, mais aussi qui vous attend,
CECILE DALMAY.
Enghien, Septembre 1854.
III
MARIE A CECILE
Je suis bien triste, ma pauvre Cecile, et je ne puis me rendre compte de
l'etat de mon ame.
Voila aujourd'hui deux mois, deux longs mois que j'ai recu votre
lettre bonne et tendre comme tout ce qui vient de vous. C'est ma seule
compagnie ici, je me trouve moins seule en relisant ces lignes pleines
de souvenirs ou j'apercois comme en un miroir les reflets lointains
de mon passe, qui se perdent peu a peu dans la brume de l'horizon en
silhouettes gracieuses et insaisissables.
Insaisissables! ce mot rend bien ma pensee, et je n'avais jamais senti,
en le voyant ecrit, tout ce qu'il peut renfermer de tristesse! Car
je tends les bras maintenant, mon amie, vers cette image fugitive,
douloureusement riante, et je pleure et je me debats, folle de
desespoir, car je ne trouve rien sous mes mains que le vide et la nuit,
car je sens mon coeur se serrer de plus en plus, pret a etouffer entre
les angoisses de cette solitude mortelle.
Je me sens mourir nuit et jour, heure par heure, minute par minute. Et
c'est cette solitude qui me tue; et je ne puis plus la fuir, et elle
s'appesantit sans cesse, impitoyable et morne, sur mon ame a jamais
defaillante.
Ma sante ne me permet plus de m'en aller d'ici. Le moindre voyage
suffirait a epuiser le peu de force qui me reste; et quand, apres avoir
passe ma journee assis
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