projets, de votre luxe, de
vos soupirants et des miens aussi, enfin de tout mon beau Paris que j'ai
tant aime!
Les malades sont comme les enfants, ils veulent qu'on les amuse.
Il y a si longtemps que je n'ai ete gaie, si vous saviez! Ici, tout a un
aspect morne qui me glace. A l'exception de Justine, ma petite femme de
chambre, dont le devouement et la peine me touchent, et de mon vieux
docteur que je vois tous les jours et dont je suis journellement les
metaphores galantes et interminables, je ne vois que les gens de la
campagne, les jardiniers, les garcons de ferme, et ma nourrice, qui est
aussi bonne et pour le moins aussi ennuyeuse que ce bon docteur.
Je suis donc seule, ou a peu pres. Et je me complais parfois dans la
torpeur dont cette solitude engourdit mon ame pleine d'esperances
infinies et de souvenirs sans regrets.
Pardonnez, mon amie, je retombe invinciblement dans ma tristesse. J'ai
mes jours, voyez-vous, et mieux vaut que je m'arrete. Si je continuais,
je dissiperais peut-etre le sourire de vos levres et la gaiete de vos
yeux.
Adieu! Ecrivez-moi surtout! Et soyez heureuse! Soyez aimee!
Votre vieille, bien vieille amie,
MARIE DE CHAMPRE D'AVENY.
Aveny, Septembre 1854.
II
CECILE A MARIE
Est-elle bien de vous, chere Marie, cette lettre que j'ai devant les
yeux? On me l'a remise hier matin, comme je venais de me lever, et
depuis ce moment je ne cesse de la relire, tant l'impression que j'en
ai ressentie est singuliere! Comment! c'est vous, mon amie, ma belle
cherie, vous si charmante et avec cela si bonne que je n'ai jamais songe
a vous en vouloir de ce que vous etiez plus jolie que moi, c'est vous,
si mondaine, si danseuse, vous dont la belle main blanche a ecrit ces
lignes que je relis encore avec etonnement, pleines de melancolie et de
regrets!
Votre lettre m'a tout attristee, et je ne sais d'ou vient que je ne puis
me soustraire a mes idees noires qui m'assaillent depuis hier.
Se peut-il que vous soyez aussi changee, Marie!
J'avais pense bien souvent a vous depuis votre depart, si precipite que
nous avons eu a peine le temps de nous faire nos adieux. Je vous vois
encore, au moment ou Justine vous a apporte cette malheureuse lettre
qui vous appelait au chevet de votre tante. On venait de vous essayer,
quelques minutes auparavant, cette delicieuse robe blanche que vous
aviez fait faire pour aller le surlendemain au grand bal de la comtesse
de Sernes.
Vous rappelez-vous
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