uvanta de voir ces yeux toujours fixes, toujours attaches sur
le but invisible; il s'epouvanta de voir battre du meme mouvement
ce coeur dont jamais un soupir ne venait varier l'habitude;
quelquefois l'acuite de la douleur fait l'espoir du medecin.
Une demi-journee se passa ainsi. Le docteur prit son parti en
homme brave, en esprit ferme: il sortit brusquement de sa retraite
et vint droit a Athos, qui le vit sans temoigner plus de surprise
que s'il n'eut rien compris a cette apparition.
-- Monsieur le comte, pardon, dit le docteur en venant au malade
les bras ouverts, mais j'ai un reproche a vous faire; vous allez
m'entendre.
Et il s'assit au chevet d'Athos, qui sortit a grand-peine de sa
preoccupation.
-- Qu'y a-t-il, docteur? demanda le comte apres un silence.
-- Il y a que vous etes malade, monsieur, et que vous ne vous
faites pas traiter.
-- Moi, malade! dit Athos en souriant.
-- Fievre, consomption, affaiblissement, deperissement, monsieur
le comte!
-- Affaiblissement! repondit Athos. Est-ce possible? Je ne me leve
pas.
-- Allons, allons, monsieur le comte, pas de subterfuges! Vous
etes un bon chretien.
-- Je le crois, dit Athos.
-- Vous donneriez-vous la mort?
-- Jamais, docteur.
-- Eh bien! monsieur, vous vous en allez mourant; demeurer ainsi,
c'est un suicide; guerissez, monsieur le comte, guerissez!
-- De quoi? Trouvez le mal d'abord. Moi, jamais je ne me suis
trouve mieux, jamais le ciel ne m'a paru plus beau, jamais je n'ai
plus cheri mes fleurs.
-- Vous avez un chagrin cache.
-- Cache?... Non pas, j'ai l'absence de mon fils, docteur; voila
tout mon mal; je ne le cache pas.
-- Monsieur le comte, votre fils vit, il est fort, il a tout
l'avenir des gens de son merite et de sa race; vivez pour lui...
-- Mais je vis, docteur. Oh! soyez bien tranquille ajouta-t-il en
souriant avec melancolie, tant que Raoul vivra, on le saura bien;
car, tant qu'il vivra, je vivrai.
-- Que dites-vous?
-- Une chose bien simple. En ce moment, docteur, je laisse la vie
suspendue en moi. Ce serait une tache au-dessus de mes forces que
la vie oublieuse, dissipee, indifferente, quand je n'ai pas la
Raoul. Vous ne demandez point a la lampe de bruler quand
l'etincelle n'y a pas attache la flamme; ne me demandez pas de
vivre au bruit et a la clarte. Je vegete, je me dispose,
j'attends. Tenez, docteur, rappelez-vous ces soldats que nous
vimes tant de fois ensemble sur les ports ou ils attenda
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