crete de cette colline, et vit se dessiner en
noir, sur l'horizon blanchi par la lune, les formes aeriennes,
poetiques de Raoul. Athos etendait la main pour arriver pres de
son fils bien-aime, sur le plateau, et celui-ci lui tendait aussi
la sienne; mais soudain, comme si le jeune homme eut ete entraine
malgre lui, reculant toujours, il quitta la terre, et Athos vit le
ciel briller entre les pieds de son enfant et le sol de la
colline.
Raoul s'elevait insensiblement dans le vide, toujours souriant,
toujours appelant du geste; il s'eloignait vers le ciel.
Athos poussa un cri de tendresse effrayee; il regarda en bas. On
voyait un camp detruit, et, comme des atomes immobiles, tous ces
blancs cadavres de l'armee royale.
Et puis, en relevant la tete, il voyait toujours, toujours, son
fils qui l'invitait a monter avec lui.
Chapitre CCLXIV -- L'ange de la mort
Athos en etait la de sa vision merveilleuse, quand le charme fut
soudain rompu par un grand bruit parti des portes exterieures de
la maison.
On entendit un cheval galoper sur le sable durci de la grande
allee, et les rumeurs des conversations les plus bruyantes et les
plus animees monterent jusqu'a la chambre ou revait le comte.
Athos ne bougea pas de la place qu'il occupait; a peine tourna-t-
il sa tete du cote de la porte pour percevoir plus tot les bruits
qui arrivaient jusqu'a lui.
Un pas alourdi monta le perron; le cheval, qui galopait naguere
avec tant de rapidite, partit lentement du cote de l'ecurie.
Quelques fremissements accompagnaient ces pas qui, peu a peu, se
rapprochaient de la chambre d'Athos.
Alors une porte s'ouvrit, et Athos, se tournant un peu du cote ou
venait le bruit, cria d'une voix faible:
-- C'est un courrier d'Afrique, n'est-ce pas?
-- Non, monsieur le comte, repondit une voix qui fit tressaillir
sur son lit le pere de Raoul.
-- Grimaud! murmura-t-il.
Et la sueur commenca de glisser le long de ses joues amaigries.
Grimaud apparut sur le seuil. Ce n'etait plus le Grimaud que nous
avons vu, jeune encore par le courage et par le devouement, alors
qu'il sautait le premier dans la barque destinee a porter Raoul de
Bragelonne aux vaisseaux de la flotte royale.
C'etait un severe et pale vieillard, aux habits couverts de
poudre, aux rares cheveux blanchis par les annees. Il tremblait en
s'appuyant au chambranle de la porte, et faillit tomber en voyant
de loin, et a la lueur des lampes, le visage de son maitre.
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