ennel:
-- Un jour, dit-elle, vous vous repentirez de m'avoir si mal
jugee. Ce jour-la, monsieur, c'est moi qui prierai Dieu d'oublier
que vous avez ete injuste pour moi. D'ailleurs, je souffrirai
tant, que vous serez le premier a plaindre mes souffrances. Ce
bonheur, monsieur d'Artagnan, ne me le reprochez pas: il me coute
cher, et je n'ai pas paye toute ma dette.
En disant ces mots, elle s'agenouilla encore doucement et
affectueusement.
-- Pardon, une derniere fois, mon fiance Raoul, dit-elle. J'ai
rompu notre chaine; nous sommes tous deux destines a mourir de
douleur. C'est toi qui pars le premier: ne crains rien, je te
suivrai. Vois seulement que je n'ai pas ete lache, et que je suis
venue te dire ce supreme adieu. Le Seigneur m'est temoin, Raoul,
que, s'il eut fallu ma vie pour racheter la tienne, j'eusse donne
sans hesiter ma vie. Je ne pourrais donner mon amour. Encore une
fois, pardon!
Elle cueillit un rameau et l'enfonca dans la terre, puis essuya
ses yeux trempes de larmes, salua d'Artagnan et disparut.
Le capitaine regarda partir chevaux, cavaliers et carrosse, puis,
croisant les bras sur sa poitrine gonflee:
-- Quand sera-ce mon tour de partir? dit-il d'une voix emue. Que
reste-t-il a l'homme apres la jeunesse, apres l'amour, apres la
gloire, apres l'amitie, apres la force, apres la richesse?... Ce
rocher sous lequel dort Porthos, qui posseda tout ce que je viens
de dire; cette mousse sous laquelle reposent Athos et Raoul, qui
possederent bien plus encore!
Il hesita un moment, l'oeil atone; puis, se redressant:
-- Marchons toujours, dit-il. Quand il en sera temps, Dieu me le
dira comme il l'a dit aux autres.
Il toucha du bout des doigts la terre mouillee par la rosee du
soir, se signa comme s'il eut ete au benitier d'une eglise et
reprit seul, seul a jamais, le chemin de Paris.
Chapitre CCLXVII -- Epilogue
Quatre ans apres la scene que nous venons de decrire, deux
cavaliers bien montes traverserent Blois au petit jour et vinrent
tout ordonner pour une chasse a l'oiseau que le roi voulait faire
dans cette plaine accidentee que coupe en deux la Loire, et qui
confine d'un cote a Meung, de l'autre a Amboise.
C'etait le capitaine des levrettes du roi et le gouverneur des
faucons, personnages fort respectes du temps de Louis XIII, mais
un peu negliges par son successeur.
Ces deux cavaliers, apres avoir reconnu le terrain, s'en
revenaient, leurs observations faites, quand ils aper
|