maud fut le seul qui n'eleva pas la voix. Meme dans le
paroxysme de sa douleur, il n'eut pas ose profaner la mort, ni
pour la premiere fois troubler le sommeil de son maitre. Athos,
d'ailleurs, l'avait habitue a ne parler jamais.
Au point du jour, d'Artagnan, qui avait erre dans la salle basse
en se mordant les poings pour etouffer ses soupirs, d'Artagnan
monta encore une fois l'escalier, et, guettant le moment ou
Grimaud tournerait la tete de son cote, il lui fit signe de venir
a lui, ce que le fidele serviteur executa sans faire plus de bruit
qu'une ombre.
D'Artagnan redescendit suivi de Grimaud.
Une fois au vestibule, prenant les mains du vieillard:
-- Grimaud, dit-il, j'ai vu comment le pere est mort: dis-moi
maintenant comment est mort le fils.
Grimaud tira de son sein une large lettre, sur l'enveloppe de
laquelle etait tracee l'adresse d'Athos. Il reconnut l'ecriture de
M. de Beaufort, brisa le cachet et se mit a lire en arpentant, aux
premiers rayons du jour bleuatre, la sombre allee de vieux
tilleuls foulee par les pas encore visibles du comte qui venait de
mourir.
Chapitre CCLXV -- Bulletin
Le duc de Beaufort ecrivait a Athos. La lettre destinee a l'homme
n'arrivait qu'au mort. Dieu changeait l'adresse.
"Mon cher comte, ecrivait le prince avec sa grande ecriture
d'ecolier malhabile, un grand malheur nous frappe au milieu d'un
grand triomphe. Le roi perd un soldat des plus braves. Je perds un
ami. Vous perdez M. de Bragelonne.
"Il est mort glorieusement, et si glorieusement, que je n'ai pas
la force de pleurer comme je voudrais.
"Recevez mes tristes compliments, mon cher comte. Le Ciel nous
distribue les epreuves selon la grandeur de notre coeur. Celle-la
est immense, mais non au-dessus de votre courage.
"Votre bon ami,
"Le duc de Beaufort."
Cette lettre renfermait une relation ecrite par un des secretaires
du prince. C'etait le plus touchant recit et le plus vrai de ce
lugubre episode qui denouait deux existences.
D'Artagnan, accoutume aux emotions de la bataille, et le coeur
cuirasse contre les attendrissements, ne put s'empecher de
tressaillir en lisant le nom de Raoul, le nom de cet enfant cheri,
devenu, comme son pere, une ombre.
"Le matin, disait le secretaire du prince, M. le duc commanda
l'attaque. Normandie et Picardie avaient pris position dans les
roches grises dominees par le talus de la montagne, sur le versant
de laquelle s'elevent les bastions de Djidgelli.
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