Tout ce qu'un homme malade et irrite par la souffrance peut
ajouter de sombres suppositions a des probabilites deja tristes,
Athos l'entassa pendant les premieres heures de cette mortelle
nuit.
La fievre monta; elle envahit la poitrine, ou le feu prit bientot,
suivant l'expression du medecin qu'on avait ramene de Blois au
dernier voyage du fils de Blaisois.
Bientot elle gagna la tete. Le medecin pratiqua successivement
deux saignees qui la degagerent, mais qui affaiblirent le malade
et ne laisserent la force d'action qu'a son cerveau.
Cependant cette fievre redoutable avait cesse. Elle assiegeait de
ses derniers battements les extremites engourdies; elle finit par
ceder tout a fait lorsque minuit sonna.
Le medecin, voyant ce mieux incontestable, regagna Blois apres
avoir ordonne quelques prescriptions et declare que le comte etait
sauve.
Alors commenca, pour Athos, une situation etrange, indefinissable.
Libre de penser, son esprit se porta vers Raoul, vers ce fils
bien-aime. Son imagination lui montra les champs de l'Afrique aux
environs de Djidgelli, ou M. de Beaufort avait du debarquer avec
son armee.
C'etaient des roches grises toutes verdies en certains endroits
par l'eau de la mer, quand elle vient fouetter la plage pendant
les tourmentes et les tempetes.
Au-dela du rivage, diapre de ces roches semblables a des tombes,
montait en amphitheatre, parmi les lentisques et les cactus, une
sorte de bourgade pleine de fumee, de bruits obscurs et de
mouvements effares.
Tout a coup, du sein de cette fumee se degagea une flamme qui
parvint, bien qu'en rampant, a couvrir toute la surface de cette
bourgade, et qui grandit peu a peu, englobant tout dans ses
tourbillons rouges; pleurs, cris, bras etendus au ciel. Ce fut,
pendant un moment, un pele-mele affreux de madriers s'ecroulant,
de lames tordues, de pierres calcinees, d'arbres grilles,
disparus.
Chose etrange! dans ce chaos ou Athos distinguait des bras leves,
ou il entendait des cris, des sanglots, des soupirs, il ne vit
jamais une figure humaine.
Le canon tonnait au loin, la mousqueterie petillait, la mer
mugissait, les troupeaux s'echappaient en bondissant sur les talus
verdoyants. Mais pas un soldat pour approcher la meche aupres des
batteries de canon, pas un marin pour aider a la manoeuvre de
cette flotte, pas un pasteur pour ces troupeaux.
Apres la ruine du village et la destruction des forts qui le
dominaient, ruine et destruction ope
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