quitte le theatre, que Moliere rendit ainsi le dernier
soupir, age de cinquante et un ans, un mois et deux ou trois jours.
Le cure de Saint-Eustache, sa paroisse, lui refusa la sepulture
ecclesiastique, comme n'ayant pas ete reconcilie avec l'Eglise. La veuve
de Moliere adressa, le 20 fevrier, une requete a l'archeveque de Paris,
Harlay de Champvalon. Accompagnee du cure d'Auteuil, elle courut a
Versailles se jeter aux pieds du roi; mais le bon cure saisit l'occasion
pour se justifier lui-meme du soupcon de jansenisme, et le roi le fit
taire. Et puis, il faut tout dire, Moliere etait mort, il ne pouvait
plus desormais amuser Louis XIV; et l'egoisme immense du monarque,
cet egoisme hideux, incurable, qui nous est mis a nu par Saint-Simon,
reprenait le dessus. Louis XIV congedia brusquement le cure et la veuve;
en meme temps il ecrivit a l'archeveque d'aviser a quelque moyen terme.
Il fut decide qu'on accorderait _un peu de terre_, mais que le corps
s'en irait directement et sans etre presente a l'eglise. Le 21 fevrier,
au soir, le corps, accompagne de deux ecclesiastiques, fut porte au
cimetiere de Saint-Joseph, rue Montmartre. Deux cents personnes environ
suivaient, tenant chacune un flambeau; il ne se chanta aucun chant
funebre. Dans la journee meme des obseques, la foule, toujours
fanatique, s'etait assemblee autour de la maison mortuaire avec des
apparences hostiles; on la dissipa en lui jetant de l'argent. Il fut
moins aise de la dissiper au convoi de Louis XIV.
A peine mort, de toutes parts on apprecia Moliere. On sait les
magnifiques vers de Boileau, qui s'y eleva a l'eloquence[18] et qui eut
un accent de Bossuet sur une mort ou Bossuet eut la violence d'un Le
Tellier. La reputation de Moliere a brille croissante et incontestee
depuis. Le XVIIIe siecle a fait plus que la confirmer, il l'a proclamee
avec une sorte d'orgueil philosophique. Il ne se fit entendre contre,
que les reclamations morales de Jean-Jacques et quelques reserves du bon
Thomas, l'ami de madame Necker, en faveur des femmes savantes. Ginguene
a publie une brochure pour montrer Rabelais precurseur et instrument de
la Revolution francaise; c'etait inutile a prouver sur Moliere. Tous les
prejuges et tous les abus flagrants avaient evidemment passe par ses
mains, et, comme instrument de circonstance, Beaumarchais lui-meme
n'etait pas plus present que lui; le _Tartufe_, a la veille de 89,
parlait aussi net que _Figaro_. Apres 94, et jusqu'en 1800 et au
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