rapporte
directement. Si, de 1800 a 1813, il domina de sa renommee et decora de
ses oeuvres abondantes la poesie dite de _l'Empire_, il ne fut rien
moins lui-meme qu'un poete de l'Empire. La plupart des ouvrages publies
par lui a partir de 1800 avaient ete composes ou du moins commences
longtemps auparavant; il les avait lus par fragments a l'Academie,
au College de France, dans les salons; c'etait l'esprit de ce monde
brillant qui les avait inspires et caresses a leur naissance; c'est le
meme esprit de ce monde recommencant, et enfin rallie apres les orages,
qui les accueillit, lors de leur publication, avec un enthousiasme
auquel les sentiments politiques rendaient, il est vrai, plus de vie et
une nouvelle jeunesse. Le pathetique, chez Delille, alla en augmentant
a travers le technique, et il y eut sympathie de plus en plus vive de
toute une partie de la societe pour ce qui semblait n'avoir du etre
d'abord qu'un passe-temps de ses loisirs.
Nomme en 1772 a l'Academie, en meme temps que Suard, Delille se vit
rejete ainsi que lui par le roi, sous pretexte qu'il etait trop
jeune (il avait trente-quatre ans), mais en realite comme suspect
d'encyclopedisme[23]. L'abbe Delille encyclopediste! On lui fit bientot
reparation, et il fut recu en 1774 a la place de La Condamine. Le comte
d'Artois, devenu l'un des protecteurs les plus affectueux du poete, le
fit d'abord nommer chanoine de Moissac, dans le Quercy, puis il lui
donna l'abbaye de Saint-Severin, dependante de la generalite d'Artois,
et qui n'astreignait qu'aux Ordres moindres. Aussi heureux qu'on pouvait
l'etre en ces heureuses annees, l'aimable poete n'eut plus que des
douceurs, qu'interrompaient a peine, de loin en loin, quelques
critiques epigrammatiques, des plis de rose. Les Memoires du temps, la
Correspondance de Grimm, les _Souvenirs_, recemment publies, de madame
Lebrun, nous le montrent dans toute la vivacite et la naivete de sa
gentillesse. Madame Le Coulteux du Moley, chez qui il passait une
partie de sa vie a la Malmaison, a trace de lui le plus piquant des
portraits[24]: ".....Rien ne peut se comparer ni aux graces de son
esprit, ni a son feu, ni a sa gaiete, ni a ses saillies, ni a ses
disparates. Ses ouvrages meme n'ont ni le caractere ni la physionomie de
sa conversation. Quand on le lit, on le croit livre aux choses les plus
serieuses[25]; en le voyant, on jurerait qu'il n'a jamais pu y penser;
c'est tour a tour le maitre et l'ecolier. Il ne s'informe
|