me de son silence_. Dans _les Amours
de Psyche_, La Fontaine a aussi decrit les merveilles naissantes de
Versailles: les vers, le plus souvent techniques, sont parfois eclaires
d'un reflet d'ame inattendu, que je ne retrouve pas a travers le bel
esprit de Delille:
L'onde, malgre son poids, dans le plomb renfermee,
Sort avec un fracas qui marque son depit,
Et plait aux ecoutants, plus il les etourdit.
Mille jets, dont la pluie alentour se partage,
Mouillent egalement l'imprudent et le sage.
Malgre les critiques qu'on fit des _Jardins_, Delille ne continua pas
moins d'etre le plus brillant et le plus enfant gate des poetes. Il ne
publia rien de nouveau jusqu'apres la Revolution; mais il travailla des
lors, et par fragments toujours, a la plupart des ouvrages qui parurent
ensuite coup sur coup a dater de 1800. M. de Choiseul-Gouffier l'emmena
ou plutot l'enleva sur le vaisseau qu'il montait comme ambassadeur a
Constantinople[33]. Delille visita Athenes, composa des morceaux de son
poeme de _l'Imagination_ aux rivages de Byzance. Une lettre ecrite par
lui en France sur son voyage etait a l'instant un evenement de societe;
un bon mot qu'il avait dit sur des pirates fit fortune. Sa vue
s'affaiblissait deja; ce soleil lumineux et cette blancheur des
murailles du Levant lui causaient plus de souffrance que de joie. A son
retour en France, il reprit sa vie mi-partie studieuse et distraite, et
la Revolution seule la vint troubler.
[Note 33: Voir les articles biographiques de Delille par Amar et par
M. Tissot.--Dans l'_Histoire de la vie et des travaux politiques du
comte d'Hauterive_, par M. le chevalier Artaud, au chapitre III, on peut
lire une agreable anecdote; _L'abbe Delille et le Janissaire_.]
Delille vit la Revolution avec les sentiments qu'on peut aisement
supposer, et tout d'abord il s'ecarta. Il alla passer l'ete de 89
en Auvergne, pres de sa mere qui vivait, et dans toutes sortes de
triomphes. Quand il revint, il y avait eu le 14 juillet et le 5 octobre.
Il ecrivait a madame Lebrun, bientot refugiee a Rome: "La politique a
tout perdu, on ne cause plus a Paris." Il n'emigra point pourtant; mais
inoffensif, generalement aime, se couvrant du nom de Montanier-Delille,
et de plus en plus rapproche de sa gouvernante, qui passa bientot pour
sa niece[34] et devint plus tard sa femme, il baissait la tete en silence
durant les annees les plus orageuses. Il quitta sa tonsure et mit des
sabots. Cette epoque de s
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